•  Avec Raymond on s'était promis d'aller pêcher en ce vendredi, et pour une fois il semblait avoir tenu parole en n'étant pas bourré dès dix heures du matin. Ca va mon gars. Il me fit quand j‘arrivai à la grille de son jardin. Ca va Raymond, et toi. Je répondis. Puis on prépara l'équipage en silence parce que nous ne parlions jamais beaucoup, les cannes, les appâts, le pain, quelques victuailles pour accompagner, et évidemment le petit cubitainer de rouge qui allait avec. A ce sujet je me promettais de le planquer au moment opportun une fois arrivés sur place, de manière à ce qu'il ne soit pas complètement vide à l'heure du casse-croûte. Nous  enfournâmes le tout dans son break, et nous voilà parti pour la rivière. Il était encore tôt, et la fraîcheur de la nuit s'estompait à peine, l‘hiver plutôt clément d'après moi, tirait à sa fin et le printemps brillait dans l‘horizon. La route qui menait à la rivière serpentait à flanc de coteaux, quasiment au pied de la montagne. De grands arbres la bordaient, pareils à des parasols verts, et le ciel lançait des éclairs blancs au travers du feuillage. Quand on mit pied à terre, nous fûmes accueillis par des cris d'oiseaux qui laissaient à peine passer le gargouillis de l'eau dégringolant en cascade un peu plus loin. De gros crapauds balançaient par moments leurs sons graisseux avant qu'on ne les entende sauter à l'eau en rafale. Sur le chemin qui longeait la berge jusqu‘au coin de pêche, il fallut éviter les flaques de boue laissées par les pluies des derniers jours, puis nous écrasions l'herbe humide avant d'atteindre les rochers gris aussi longs et plats que des tables de salle à manger. Tu veux pas un petit coup pour te réchauffer. Me demanda Raymond. Non ça me dit rien, je garde ça pour tout à l'heure. Je fis. Nous déballâmes l'attirail et chacun de son côté sur la retenue traversée par un fort filet d'eau vive, on jeta les fils...

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  •  En pensant à ça j'évoquais Raymond justement qui avait prit sa retraite de l'armée tout prêt d'ici. Pour être sincère je connaissais du monde avant, dans un milieu jamais à court d‘idées. J'avais longuement tâté de ces boulots qui consistent à s'asseoir devant un clavier avec l'air inspiré. Je ne connus pas une situation unique, mais des milliers. Qui se dégradaient aussi rapidement que je les démarrais. Des bouts de vie enfilés les uns aux autres comme un infâme bricolage. Des Jobs de bric et de broc de plus en plus merdiques au fil du temps.. Dans un Environnement de Plus en Plus Hostile. Mais on s'habitue aux médiocres  piges et à tout quand on se met à débloquer avec l‘âge et pour d‘insondables raisons. Puis un jour on admet enfin ce qui crève les yeux. A ce stade j'eus à peine le temps de me demander ce que j'étais venu faire dans ce cirque. Le paysage de pierres s'écroula et partit en miettes. Certains s'accrochent dans le vertige et comptent les mois et les années. Pendant que d'autres sont pris de frénésie et multiplient les conneries. J'étais plutôt de cette seconde catégorie. Voilà pour résumer les choses simplement, comment ça s'est passé. Mais je n'étonnerai personne en évoquant de tels faits, fut-ce dans une glaçante brièveté. Chacun aura eu l'occasion un jour de rencontrer un traîne savate pour s'en faire une idée exacte et servir de modèle. En vérité je rêvais de filer depuis la nuit des temps. Depuis le premier jour où il m'avait fallu Gagner ma Vie et me conduire comme un Homme.. Mais j'avais été capable d'attendre qu'il soit trop tard. Comme à peu près tout le monde. Quoique j'appelai ça du courage alors. J'avais tenu bon et j'aurais presque exigé une médaille pour mon héroïsme...  
     


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  • Je m'étais mis à observer le décor comme s'il était faux et en carton pâte. Me disant qu'il serait de toute façon démonté à peine j‘aurais le dos tourné. Je ne voyais rien de réel dans cette grosse boîte où je n‘avais jamais existé. Par quel miracle je pensais, la lourdeur Physique de mon corps m'imposerait de me trouver là où je ne peux Être. Mes poumons respireraient de l'air qui n'est pas celui dans lequel flotte mon esprit. Mes yeux observeraient des courbes et des reliefs qui ne peuvent m'inspirer une once de vie. Quand à mes pieds, ils reposeraient sur un sol incapable de soutenir mon Âme. Oui, tout ça manifestement c'est du pipeau. Je me disais de plus en plus convaincu. Je voyais clairement enfin la vérité. Un plateau de cinéma que des types planqués dans l'ombre s'apprêtaient à démonter sitôt mon départ. Cette soudaine lucidité m'amena à réfléchir sur quelques points purement pratiques mais incontournables. D'abord je me demandais ce que j'allais emporter puisqu'il était temps de déguerpir. Quelques sacs bourrés d'affaires qui tiendraient dans ma voiture. Sûrement aucun souvenir ni de cette période de ma vie pas plus que de celle qui avait précédé. Le poids de ces derniers ne rentrait pas en ligne de compte mais je m'étais toujours connu une sorte de détestation des Souvenirs.. Puis je me rappelais, toujours dans la mesure ou je voulais me croire lucide, qu'il ne me restait quasiment plus un radis en poche après mon dernier gros billet craqué le matin même avec Sam. Une seconde je regrettais deux ou trois trucs partis par la fenêtre et que j'aurais pu revendre histoire de ramasser un peu d'argent. Mais je ne remis pas en cause la portée symbolique de mon geste. Sachant qu'il Me Fallait en Passer par Là.. J'avisais mon appareil photo sur l'étagère. Un paquet de Cds encore intacts.. Un ordinateur portable pas trop démodé, et quelques babioles éparses traînant un peu partout. Je pensais enfin à une chaîne en or qui me venait de loin. Je fis un rapide calcul de ce que l'on pourrait m'en donner Sur le Champ.. et me mis à prier pour que cela paye la traversée du pays. J'irais du nord au sud avec ma grosse bagnole, Jusqu'à la Dernière Goutte d'Essence.. et on n'entendrait plus parler de moi..

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  •  Il pleuvait souvent depuis quelques jours. Vers la fin de l'après-midi je sortais faire un tour dans les sous-bois et sur la petite route qui traversait le plateau jusqu'au versant de la montagne d'où la vue plongeait sur la ville minuscule qui était à peine une bourgade. C'était En Bas en Ville.., comme il se disait par ici. Et Danielle habitait là bas. Je pensais beaucoup à elle et à ses jolies jambes qu'elle laissait généreusement entrevoir avec sa manie de porter des jupes noires et légères qui s'envolaient à chaque coup de vent pour découvrir ses collants sombres. Mais je n'y pensais que bien à l'abri de ma bulle de solitude aussi confortable qu'un profond bain de ouate. De toute évidence je n'étais pas prêt à lever le petit doigt pour aller la chercher, pas plus elle qu'une autre. Me contentant d'y penser comme je m'étais habitué à faire depuis des années, et profitant des images qui allaient avec. Je gardais ainsi l'apparence d'un homme et tant pis pour l'intérieur complètement siphonné dans la mesure où j‘étais seul à savoir. Je donnais le change et au moins je n'étais plus acculé à confesser ma vraie nature à tout bout de champ. Ce n'est pas pour rien que certains se font ermites au milieu de toutes les douceurs de l'humanité. Des bagnoles qui foncent à trois cent à l'heure ou des gonzesses qui rendent malades tellement elles donnent envie. L'existence ne tiendrait donc qu'à quelques détails insignifiants. Je ne crois pas personnellement. C'est même tellement compliqué que je préfère en rester aux symboles et futilités. Qu'est-ce qui prouve aussi que mes contemporains puissent comprendre mon point de vue si je me donnais la peine d'y aller à fond. Je ne les prends pas pour des lumières malgré qu'ils m'aient poussé sur les confins géographiques. Je ne les crains pas. Je ne les supporte plus et cela n'a rien à voir. Dire alors adieu aux douceurs. Oui. Il fallut en passer par là. Pour devenir cette ombre tranquille. Un moine sans trop de religion, un faux moine certes, un de plus pourrait-on dire. Voilà ce qu'il me semblait devenir, depuis que cinq ans plus tôt j'avais posé mes fesses et mon maigre bagage dans la maison près de la forêt. En Haut.. Je commençais aussi dans les dernières semaines à savoir bien des choses sur l'Andalousie. Les taureaux, le soleil brûlant, l'huile d'olive, et les villages s'égrenant tels des perles blanches sur les collines couronnées d'immenses rochers. En fait je n'y avais jamais mis les pieds, mais comme je parlais espagnol, j'avais obtenu ce travail qui consistait à traduire et réécrire des prospectus publicitaires pour les agences de voyage. Cela me prenait deux ou trois heures dans la journée et rien de plus, et me laissait le reste du temps pour marcher ou le plus souvent ne rien faire, rêvasser au vent, ruminer pas mal, et attendre que ça passe. Parfois je finissais par m'asseoir devant ma machine et j'écrivais quelques lignes, mais j'y croyais de moins en moins, je n'étais plus sûr de rien. Sachant d'avance que j'allais me montrer lent et sec. Inexorablement. Comme j'avais Toujours Été. Dans le sens où je n'avais plus d'histoire à raconter. Seulement des lignes à écrire. Je me disais qu'au mieux ça donnerait quoi... M‘étais-je seulement un jour posé la question. Il m'arrivait aussi de marcher sur la route en direction du col, m'aventurant certains jours jusqu'à la frontière quand le temps était bon. Une balade qui me prenait une demi-journée et me paraissait un grand moment. Alors je n'abusai pas pour en garder tout le caractère. Réservant ce gros effort pour une question plus primordiale qu'il me faudrait résoudre un jour ou l'autre. Quoique une idée pareille me paraissait étrange et je n'aurais su dire ce que pouvait exactement signifier Une Question Vraiment Importante. Heureusement j'avais su m'adapter à la solitude et quelques nuits d'insomnie d'affilées justifiaient déjà une profonde réflexion en compagnie des nuages. Mais je n'étais pas seul, loin de là. J'avais le vent, la forêt, deux trois têtes connues. Il me semble même que je n'avais jamais côtoyé autant de monde auparavant, quand je vivais en famille, avec boulot, femme, et enfants. Avant le divorce, mon autre vie. Mon Existence Normale et Satisfaisante. Du moins ce que j'avais pris pour tel. Durant au moins vingt ans. Tout en Sachant Depuis la Première minute Que Ca ne Pouvait pas Durer... 

     

     

     

     


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  • Sam voulait une bière, et bien sûr un bon sandwich parce qu'il avait faim vu qu'il était onze heures passées. Quand à moi je rêvais d'un café pour couper le froid assez vif depuis le lever du jour. Mais il s'était empressé de rajouter qu'il avait pas la queue d'un en poche. Seulement moi je pouvais, encore une fois, et qu'est-ce que ça ferait une fois de plus. N'Étions nous pas Tous dans le Même Bain.. D'ailleurs je tendais le doigt et le commandais moi-même à la serveuse. Celle là même à qui je filerais mon dernier billet sans l'ombre d'un regret. Quoique je ne voyais pas d'où viendrait le prochain. A moins de tomber du ciel  pour utiliser une image qui jusqu‘à preuve du contraire ne s‘est jamais vérifiée.. C'est une illustration de plus de la fameuse roue, qui toujours tourne sans que jamais il lui vienne l'idée de se reposer une seconde. Ce qui me paraissait positif à cette heure était que je ne ressentais rien de spécial, aucun vertige, ni satisfaction. Vide comme un nuage. J'étais certainement sur le bon chemin et ne pouvais que m'en réjouir. Tout allait pour le mieux, je me disais, menteur comme je suis. Je ne regrettais toujours pas d'avoir balancé une vieille vie contre une nouvelle qui ne m'apportait pas spécialement plus de satisfactions que l'autre. Je me rendais compte seulement que je n'étais pas allé aussi loin qu'il m'aurait fallu, et cette pensée je crois curieusement m'indisposa. Me ramenant à une forme de vie plus directe; Je ressentis alors des fourmis dans les jambes. Dans l'après-midi je restais assis comme un imbécile durant des heures dans le grenier que je louais. Au dehors la Triste Ville Immense ronflait Comme un Vieux Chien Malade.. Puis sans réfléchir je balançai par la fenêtre tout un tas d'affaires qui allèrent s'écraser dans une cour en contre-bas ouverte sur la rue. Il est fou ce type, je pus entendre hurler de là où j'étais, et peu après je me penchai et constatai que des gens retournaient une grosse machine à musique avec des mines complètement désolées. Ca va pas la tête, refit le même type qui m'avait déjà engueulé en semblant sincèrement regretter que l'on puisse gâcher du si bon matériel. Je ne lui répondis pas et me retirai en arrière pour ne pas faire d'histoires, et bien au fond de la pièce là où on ne tenait plus debout, à l'abri des regards...


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