• Je m'étais mis à observer le décor comme s'il était faux et en carton pâte. Me disant qu'il serait de toute façon démonté à peine j‘aurais le dos tourné. Je ne voyais rien de réel dans cette grosse boîte où je n‘avais jamais existé. Par quel miracle je pensais, la lourdeur Physique de mon corps m'imposerait de me trouver là où je ne peux Être. Mes poumons respireraient de l'air qui n'est pas celui dans lequel flotte mon esprit. Mes yeux observeraient des courbes et des reliefs qui ne peuvent m'inspirer une once de vie. Quand à mes pieds, ils reposeraient sur un sol incapable de soutenir mon Âme. Oui, tout ça manifestement c'est du pipeau. Je me disais de plus en plus convaincu. Je voyais clairement enfin la vérité. Un plateau de cinéma que des types planqués dans l'ombre s'apprêtaient à démonter sitôt mon départ. Cette soudaine lucidité m'amena à réfléchir sur quelques points purement pratiques mais incontournables. D'abord je me demandais ce que j'allais emporter puisqu'il était temps de déguerpir. Quelques sacs bourrés d'affaires qui tiendraient dans ma voiture. Sûrement aucun souvenir ni de cette période de ma vie pas plus que de celle qui avait précédé. Le poids de ces derniers ne rentrait pas en ligne de compte mais je m'étais toujours connu une sorte de détestation des Souvenirs.. Puis je me rappelais, toujours dans la mesure ou je voulais me croire lucide, qu'il ne me restait quasiment plus un radis en poche après mon dernier gros billet craqué le matin même avec Sam. Une seconde je regrettais deux ou trois trucs partis par la fenêtre et que j'aurais pu revendre histoire de ramasser un peu d'argent. Mais je ne remis pas en cause la portée symbolique de mon geste. Sachant qu'il Me Fallait en Passer par Là.. J'avisais mon appareil photo sur l'étagère. Un paquet de Cds encore intacts.. Un ordinateur portable pas trop démodé, et quelques babioles éparses traînant un peu partout. Je pensais enfin à une chaîne en or qui me venait de loin. Je fis un rapide calcul de ce que l'on pourrait m'en donner Sur le Champ.. et me mis à prier pour que cela paye la traversée du pays. J'irais du nord au sud avec ma grosse bagnole, Jusqu'à la Dernière Goutte d'Essence.. et on n'entendrait plus parler de moi..

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  •  Il pleuvait souvent depuis quelques jours. Vers la fin de l'après-midi je sortais faire un tour dans les sous-bois et sur la petite route qui traversait le plateau jusqu'au versant de la montagne d'où la vue plongeait sur la ville minuscule qui était à peine une bourgade. C'était En Bas en Ville.., comme il se disait par ici. Et Danielle habitait là bas. Je pensais beaucoup à elle et à ses jolies jambes qu'elle laissait généreusement entrevoir avec sa manie de porter des jupes noires et légères qui s'envolaient à chaque coup de vent pour découvrir ses collants sombres. Mais je n'y pensais que bien à l'abri de ma bulle de solitude aussi confortable qu'un profond bain de ouate. De toute évidence je n'étais pas prêt à lever le petit doigt pour aller la chercher, pas plus elle qu'une autre. Me contentant d'y penser comme je m'étais habitué à faire depuis des années, et profitant des images qui allaient avec. Je gardais ainsi l'apparence d'un homme et tant pis pour l'intérieur complètement siphonné dans la mesure où j‘étais seul à savoir. Je donnais le change et au moins je n'étais plus acculé à confesser ma vraie nature à tout bout de champ. Ce n'est pas pour rien que certains se font ermites au milieu de toutes les douceurs de l'humanité. Des bagnoles qui foncent à trois cent à l'heure ou des gonzesses qui rendent malades tellement elles donnent envie. L'existence ne tiendrait donc qu'à quelques détails insignifiants. Je ne crois pas personnellement. C'est même tellement compliqué que je préfère en rester aux symboles et futilités. Qu'est-ce qui prouve aussi que mes contemporains puissent comprendre mon point de vue si je me donnais la peine d'y aller à fond. Je ne les prends pas pour des lumières malgré qu'ils m'aient poussé sur les confins géographiques. Je ne les crains pas. Je ne les supporte plus et cela n'a rien à voir. Dire alors adieu aux douceurs. Oui. Il fallut en passer par là. Pour devenir cette ombre tranquille. Un moine sans trop de religion, un faux moine certes, un de plus pourrait-on dire. Voilà ce qu'il me semblait devenir, depuis que cinq ans plus tôt j'avais posé mes fesses et mon maigre bagage dans la maison près de la forêt. En Haut.. Je commençais aussi dans les dernières semaines à savoir bien des choses sur l'Andalousie. Les taureaux, le soleil brûlant, l'huile d'olive, et les villages s'égrenant tels des perles blanches sur les collines couronnées d'immenses rochers. En fait je n'y avais jamais mis les pieds, mais comme je parlais espagnol, j'avais obtenu ce travail qui consistait à traduire et réécrire des prospectus publicitaires pour les agences de voyage. Cela me prenait deux ou trois heures dans la journée et rien de plus, et me laissait le reste du temps pour marcher ou le plus souvent ne rien faire, rêvasser au vent, ruminer pas mal, et attendre que ça passe. Parfois je finissais par m'asseoir devant ma machine et j'écrivais quelques lignes, mais j'y croyais de moins en moins, je n'étais plus sûr de rien. Sachant d'avance que j'allais me montrer lent et sec. Inexorablement. Comme j'avais Toujours Été. Dans le sens où je n'avais plus d'histoire à raconter. Seulement des lignes à écrire. Je me disais qu'au mieux ça donnerait quoi... M‘étais-je seulement un jour posé la question. Il m'arrivait aussi de marcher sur la route en direction du col, m'aventurant certains jours jusqu'à la frontière quand le temps était bon. Une balade qui me prenait une demi-journée et me paraissait un grand moment. Alors je n'abusai pas pour en garder tout le caractère. Réservant ce gros effort pour une question plus primordiale qu'il me faudrait résoudre un jour ou l'autre. Quoique une idée pareille me paraissait étrange et je n'aurais su dire ce que pouvait exactement signifier Une Question Vraiment Importante. Heureusement j'avais su m'adapter à la solitude et quelques nuits d'insomnie d'affilées justifiaient déjà une profonde réflexion en compagnie des nuages. Mais je n'étais pas seul, loin de là. J'avais le vent, la forêt, deux trois têtes connues. Il me semble même que je n'avais jamais côtoyé autant de monde auparavant, quand je vivais en famille, avec boulot, femme, et enfants. Avant le divorce, mon autre vie. Mon Existence Normale et Satisfaisante. Du moins ce que j'avais pris pour tel. Durant au moins vingt ans. Tout en Sachant Depuis la Première minute Que Ca ne Pouvait pas Durer... 

     

     

     

     


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  • Sam voulait une bière, et bien sûr un bon sandwich parce qu'il avait faim vu qu'il était onze heures passées. Quand à moi je rêvais d'un café pour couper le froid assez vif depuis le lever du jour. Mais il s'était empressé de rajouter qu'il avait pas la queue d'un en poche. Seulement moi je pouvais, encore une fois, et qu'est-ce que ça ferait une fois de plus. N'Étions nous pas Tous dans le Même Bain.. D'ailleurs je tendais le doigt et le commandais moi-même à la serveuse. Celle là même à qui je filerais mon dernier billet sans l'ombre d'un regret. Quoique je ne voyais pas d'où viendrait le prochain. A moins de tomber du ciel  pour utiliser une image qui jusqu‘à preuve du contraire ne s‘est jamais vérifiée.. C'est une illustration de plus de la fameuse roue, qui toujours tourne sans que jamais il lui vienne l'idée de se reposer une seconde. Ce qui me paraissait positif à cette heure était que je ne ressentais rien de spécial, aucun vertige, ni satisfaction. Vide comme un nuage. J'étais certainement sur le bon chemin et ne pouvais que m'en réjouir. Tout allait pour le mieux, je me disais, menteur comme je suis. Je ne regrettais toujours pas d'avoir balancé une vieille vie contre une nouvelle qui ne m'apportait pas spécialement plus de satisfactions que l'autre. Je me rendais compte seulement que je n'étais pas allé aussi loin qu'il m'aurait fallu, et cette pensée je crois curieusement m'indisposa. Me ramenant à une forme de vie plus directe; Je ressentis alors des fourmis dans les jambes. Dans l'après-midi je restais assis comme un imbécile durant des heures dans le grenier que je louais. Au dehors la Triste Ville Immense ronflait Comme un Vieux Chien Malade.. Puis sans réfléchir je balançai par la fenêtre tout un tas d'affaires qui allèrent s'écraser dans une cour en contre-bas ouverte sur la rue. Il est fou ce type, je pus entendre hurler de là où j'étais, et peu après je me penchai et constatai que des gens retournaient une grosse machine à musique avec des mines complètement désolées. Ca va pas la tête, refit le même type qui m'avait déjà engueulé en semblant sincèrement regretter que l'on puisse gâcher du si bon matériel. Je ne lui répondis pas et me retirai en arrière pour ne pas faire d'histoires, et bien au fond de la pièce là où on ne tenait plus debout, à l'abri des regards...


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