• Le maire arriva accompagné d'un acolyte entre deux âges mais encore jeune et qui je trouvais, portait plutôt beau s'il n'avait eu l'air aussi vague. Le regard clair mais qui me donna l'impression de jouer une pièce de théâtre. Un beau gars tout de même. Comme fait exprès, mais à mon avis le hasard n'y était pour rien, presque tous les habitués se pressaient à mon rendez-vous comme s'ils s'étaient sentis concernés de plein droit. Gros Louis se comportait comme je prévoyais, et malheureusement pour moi c'était la vedette du jour. Il trônait au comptoir et s'occupait des présentations. Tiens Mel, je te présente monsieur le maire. Puis il fit le tour de la petite assemblée. Bastien, Chantal, Johnny , Mona, Sam.. Chacun s'avançait d'un pas et serrait la main du maire. Tout ça tombe très bien chers amis, et puisque nous y sommes, laissez moi vous présenter David.. qui est notre nouveau curé en remplacement de ce pauvre monsieur Tellière. Le maire offrit à boire, puis Michael remit la sienne, et Bastien s'empressa de suivre. Pour le maire, c'était tout bénéfice cette affaire. J'allais pour pas cher, lui écrire le petit journal à sa gloire auquel il rêvait depuis un moment, et avec Gros Louis qui s'en irait chanter ses louanges, il pouvait compter sur quelques centaines de voix supplémentaires aux prochaines élections. Dans des lieux tel que le nôtre un facteur avec une grande gueule compte plus qu'un ministre. C'est parce qu'il n'ignore pas pareille vérité que cet homme est maire, et que de mon côté je dois toujours courir derrière ma pitance. Gros Louis dispose jour après jour de tout son temps pour colporter le moindre commérage qui circule dans le canton, d'autant que ça lui plait le bougre. C'est sa vraie vie. Sa raison d'être. Il ne se pose pas de questions. Il se lève le matin et il y va dans sa guerre douce et sans fin. Je l'ai croisé parfois bien accoudé sur un rebord de fenêtre en train de siffloter un verre de blanc avec une petite vieille ravie de profiter d'une si bonne compagnie. On a du mal à imaginer quand on y connaît rien, le pouvoir réel d'un tel homme. Avec un peu d'astuce il peut faire et défaire les plus hautes autorités. C'est tout simplement terrifiant. Heureusement et contrairement à mes craintes ce rendez-vous prit une tournure plaisante. L'attribution du marché journalistique fut rapidement emballé, (J'étais pas venu les mains vides mais avec un book qui en jetait.. Un Max..) et chacun s'appliqua à y trouver son compte. Bastien qui avait sorti la terrible Ferrari du garage pour l'occasion  vint la garer juste devant le café, et se prenait pour un notable, truffant la conversation de noms de commerçants ou de familles censées représenter les grands noms de la finance dans notre vallée et celle d'à côté. Un tel venait de se payer une villa en Floride, ou le vétérinaire qui terminait son déménagement et dont il venait d'équiper tous les locaux justement. Il me sembla percevoir un curieux froncement de sourcils du maire à cette évocation. Je me dis que cette histoire ne tombait pas dans l'oreille d'un sourd et qu'une idée peut-être lui germait derrière la tête, un arrangement avec Bastien sur de futurs travaux chez lui à prix spécial ou quelque chose s'en approchant. Mais il n'y avait peut-être rien en vue, sauf que mon imagination va chercher la petite bête dans tous les recoins ou elle parvient à s'engouffrer. On m'avait oublié dans la cohue, et à présent je pouvais reprendre en paix mon activité favorite, c'est à dire regarder ce que font les autres et écouter ce qui se dit. Éventuellement aussi quand l'occasion se présente, mater les femelles de passage. Tranquillement. Mais je compris vite que je n'étais pas seul à pratiquer ce sport. Le nouveau venu, David, tout curé qu'il était me parut aussi intéressé et contemplatif de la race humaine que je l'étais moi-même. Il sirotait une bière devenue chaude dans sa main. Au moins il n'avait pas le vice de la boisson. Mais je devinais rapidement cette manière discrète quoique très efficace qu'il avait de laisser glisser son regard sur les hanches incendiaires de certaines créatures. Bien entendu les jambes qui prolongeaient cette partie du corps l'intéressaient tout autant et même au plus haut point. Je me trompe rarement sur pareil sujet quand je me retrouve en concurrence directe avec un de mes semblables. Dans l'action présente c'était Mona, petite conne s'il en était, qui subissait ses faveurs et plutôt même à mon avis se retrouvait à poil. Ce jour là elle nous faisait la joie de porter une petite robe rouge à gros pois bleus, ou avait-elle pu dénicher un truc pareil, qui tombant sur le haut des cuisses, un endroit manifestement rose et chaud, les tapotait gentiment et donnait envie de mordre là-dedans, de prendre tout ça sans complexe dans la main, de tordre et presser, et encore, et encore.. Nom d'un chien dire que je me sentais fini, du moins je croyais, pratiquement mourrant quelques mois plus tôt à peine, et j'en étais presque en public à tendre la main vers la jeune peau tellement mon esprit salivait. Qu'en aurais-je fait d'ailleurs, étais-je encore à la hauteur. Rien n'était moins sûr. J'étais peut-être vieux et ce n'était plus de mon âge. Ce calme étrange qu'il me semblait avoir tant cherché dans les nuages et la montagne, la forêt, le long des torrents, s'éloignait à nouveau. Ma quête définitivement serait vaine. Je ne serais pas le premier homme du silence éternel. Le guerrier à la puissance infinie parce que sans passion. L'apôtre d'une nouvelle et terrifiante humanité. Encore moins un singe mutant parmi les hommes. J'étais juste un trou du cul comme un autre, et tout compte fait cette nouvelle, du moins dans l'immédiat ce jour là, me satisfaisait amplement. Naturellement un bout de regard et un petit pas après l'autre on finit par se rapprocher. Tu es arrivé il y a longtemps. Il me demanda d'une voix à la fois neutre mais aussi ferme et douce. Je répondais d'abord par un ricanement, sans animosité bien entendu. Comment as-tu deviné que je venais de loin. Il me regarda plus franchement au point que cela commença à m'incommoder. Je ne sais pas exactement, néanmoins je sens que tu n'est pas né ici, en vérité je n'y avais pas réfléchi. J'ai du dire ça au hasard. Et toi qu'est-ce qui t'as fait choisir notre vallée perdu. Je fis dans l'espoir de brouiller un peu la situation. Il laissa passer quelques secondes, un tantinet incertain sur le degré de sincérité de la réponse qu'il allait me fournir. Du moins ce fut de cette manière que je ressentis le court intervalle de silence. Je n'ai pas choisi, il y a des paroisses à pourvoir, et toute un système hiérarchique qui s'occupe des affectations, on m'a demandé de venir ici, j'ai été tout à fait heureux de cette proposition. Auparavant j'officiais dans une trop grande ville, du bruit, de la fumée.. Des tentations. Je fis en continuant sa phrase, et sans pouvoir dire ce qui m'avait poussé à me montrer aussi abrupt. Son verre qu'il balançait lentement au bout de son bras, se figea. Je me sentis cruel, inutilement cruel, sans très bien comprendre d'où cela m'était sorti. Il hocha la tête, amicalement. Comme s'il avait les moyens de ne pas s'arrêter sur quelques mots. Puis il reprit. Le seigneur nous éprouve, il sait parfaitement ce qu'il fait, et lui seul peut répondre. Tu verras, on vit très bien dans ce trou. C'en est même étonnant.. Je reprenais rapidement pour me faire pardonner. Ca paraît calme au début, mais c'est très bon pour le repos de l'âme, qu'est ce que tu fais en dehors de tes messes. Il sourit. Les offices ne constituent qu'une toute petite partie de notre travail, en réalité nous sommes très occupé, on ne s'ennuie pas. Je n'en doutais pas une seconde. Au fait tu vis ici-même en ville. Il me demanda. Pas exactement, je loue une maison à quelques kilomètres dans la montagne, sur la route du col. Je pourrai passer te voir un de ces jours, s'il m'arrive de rouler par là-bas. A l'occasion n'hésite pas. Fis-je. Ce sera avec plaisir. Bien décidé à ne pas lui donner de prétexte à débarquer chez-moi. Enfin, les gens n'ont pas l'air malheureux dans cet endroit, si j'en juge par ce que je vois. Fit-il en laissant son regard flotter sur la salle, les hanches de Mona, et tous les autres qui se racontaient des conneries en descendant des canons Plus tard je quittais ma taverne complètement abasourdi...


    votre commentaire
  • Le gros Louis me rendit un drôle de service dans cette même période. Bien sûr il me le rendit publiquement et de façon assez bruyante, bien trop à mon goût, parce que c'est ainsi qu'il voyait la vie, et si lui brillait d'un rouge vermillon et orgueilleux, je rosissais dans ma gêne et aurais préféré un peu plus de discrétion. Il avait eu vent, la ville est minuscule, d'une sorte de petit journal municipal que le maire projetait de créer pour distribuer à ses électeurs et aux touristes. Alors il avait pensé à moi, et persuadé l'édile de venir rencontrer le journaliste-qui-était-venu-s'installer-dans -la-région pour voir s'il n'y avait pas moyen de s'arranger. C'est exactement dans ces termes que Gros Louis avait présenté l'affaire tant au maire qu'à moi-même, et aux autres voyous du café. Il m'avait pour ainsi dire convoqué à seize heures tapantes, utilisant pour cela un ton à la fois familier et assez autoritaire. Sans me laisser une seconde pour en placer une et éventuellement poser quelques questions. Étant donné que j'avais été prévenu deux jours à l'avance, je bénéficiais de tout ce laps de temps pour ruminer, et l'épisode réveilla en moi une multitude de sentiments, conflits, et pulsions contradictoires. Autant de petits problèmes que je croyais bien avoir calmés et enterrés dans la fraîcheur de mon bout de montagne dont j'étais si peu descendu dans les dernières années. Le fameux, on a rien sans rien. Je réalisai soudainement que j'étais de retour dans la société, et que cela me plaise ou non, rien n'avait changé, et que si je voulais qu'on me laisse une place à la grande gamelle collective, ( si petite soit la place cela n'a aucune importance), je n'avais qu'à être là à l'heure de passer à table, c'est à dire seize heures pile comme l'avait prévu Gros Louis qui n'hésitait pas de son côté à convoquer le maire dans les mêmes termes. En courant dans la forêt le matin de cette réquisition, je me surpris par moments à écumer de rage. J'enrageais à la seule idée d'être obligé de répondre présent après toutes ces années de paix royale autant qu'indigente. Je fis une halte dans ma course, à la clairière qui voyait émerger une source tombant en cascade sur des galets d'un beau gris et bleu de granit. Être ou ne pas être. Voir le bon plan me passer sous le nez ou accepter qu'on me casse les couilles une heure ou deux. Voilà la question. Une couleuvre de plus à avaler, et puis tintin aussi de ma belle et stérile solitude, les heures lentes du silence, des étoiles muettes seules dignes de se placer au dessus de ma petite personne. Je m'aspergeai le crâne d'eau froide et je sentis heureusement la machine qui refroidissait, une sorte de bien être qui me coulait le long des membres apaisés. La confusion semblait battre en retraite. Toute cette histoire n'était pas si grave, je me répétais mille fois, et puis j'avais réellement besoin de ce fric. L'Andalousie était déjà loin, et j'avais quasiment plus un sou. Heureusement pour moi j'avais déniché quelques copains et si seulement Gros Louis avait pu se montrer un peu plus discret, mais après tout il n'y avait pas mort d'homme. Je m'assis sur une souche, le visage encore tout trempé, avec de l'eau qui me coulait sur le front et les tempes en s'accrochant sur quelques millimètres de barbe. Je fixais le ciel avec cette façon particulière qui m'est venu sur le tard quand je pris conscience du monde réel dans lequel je vivais. L'instant précis ou je crus sentir que rien, et surtout pas la vie, ne méritait d'être cette chose anodine et pasteurisée apportée par le souffle empoisonnée déversé par la télé, les hommes politiques, les braillards en tout genre, les millions de fantômes qui se pressent pareils à des sardines sur les trottoirs des villes et les stades, dans les grands magasins, les plages qui puent l'huile de ricin quand c'est pas la merde, les maisons en carton pâte, le pied de grue devant les ascenseurs en panne, les salles d'attentes climatisées et sonorisées, les files de bagnoles qui crament les unes contre les autres et qui ne rêvent que d'une chose c'est de se défoncer par le pot d'échappement avec les fous du volant à l'intérieur qui eux brûlent de finir en bouillie au milieu d'un massacre d'enfants juste à la sortie d'une école de village bordée par des prés sur lesquels de belles et lourdes vaches broutent leur ration de protéine bourrée de chlorophylle empoisonnée par ces mêmes bagnoles qu‘elles regardent passer pour s‘amuser. Maintenant, alors qu'un instant plus tôt, tout encore était limpide, j'éprouvais l'envie de pleurer et de courir vers je ne sais quel coin de la Terre pour m'y cacher à nouveau. Plus simplement. Je finis par me relever et calmement repris le chemin de la maison, sans me presser. J'avais vraiment besoin de ce fric, et en réfléchissant bien c'était pas la mer à boire cette histoire...


    votre commentaire
  •  

    Je rencontrais souvent encore de la brume de la nuit sur les reliefs et la vallée, et j'aimais cet air vif et les nappes de coton qui flottaient pareilles à des méduses. S'accrochant sans aucune agressivité sur les flancs des montagnes et la cime des arbres. J'aimais les cris doux et gentils des oiseaux dans le silence du matin. Ces piques sonores qu'ils se lançaient de tous les côtés. Des crapauds aussi, des biches qui démarraient au quart de tour depuis les fourrées dans un piétinement enfantin. Les nombreux glissements non identifiés au milieu des herbes et des fougères. J'aimais cette vie dont je ne connaissais pas grand chose, ces innombrables animaux que je reconnaissais à peine, toutes ces plantes remplies de vie et qui me ravissaient sans que je puisse jamais les nommer. Je ne cherche pas à connaître les choses de trop près, encore moins je veux les classer, les ficher, les mesurer, ni même les décrire avec une précision exagérée. La seule affaire qui m'importe est de courir dans la forêt et la montagne, dans la paix du matin, les bruits de l'eau qui coule de partout, les sons lointains et cristallins du vrai silence, sentir encore pour un temps mon sang battre dans mes veines et ma vieille carcasse s'animer et reprendre quelques forces... Je m'étais bricolé une paire d'haltères aussi avec des morceaux de ferraille récupérés sur de vieux matériels agricoles ornant tout un carré de prairie pas loin de chez moi. Puis sur la lancée je me servais d'un solide manche de pioche que je possédais et me fabriquais un portique dans la grange, auquel je me suspendais au retour de mes courses en forêt. Après une période d'entraînement j'étais de nouveau capable d'effectuer des séries de traction et des étirements. Je n'arrêtais plus, je ne voulais plus mourir à petit feu. Contre mon gré... 

     


    votre commentaire
  • Mathieu aussi, qui patientait des heures en attendant qu'on lui paye un verre. Lui était du pays, et vivait aux crochets de sa femme et d‘un peu tout le monde. Mais il ne cessait de jurer que les gens du coin étaient des ignorants ou de gros bouseux. J'y comprenais pour ma part qu'il avait salement du les épuiser et se rabattait sur nous faute de mieux. Je ne lui accordais que peu d‘intérêt, le voyant comme une sorte de figurant à peine bon pour son propre rôle. Trop flemmard pour s'imaginer une autre vie. Depuis le début quelque chose me dérangeait en lui et il me fallut du temps pour comprendre. C'était son air éternel de satisfaction qui me hérissait. Ses manières faussement candides et repues. Son contentement à toute épreuve. Comment pourrais-je m'entendre avec un individu pas foutu de chercher à savoir s'il est bien le pauvre type qu'il prétend être. Ce n'est pas grave de se révéler un moins que rien, mais de là à s'en réjouir comme ça en public, et faire croire qu'on est content de son sort.. Il faut pas pousser.. Je mettrais personnellement chacun en demeure de vérifier au moins une fois au cours de son existence s'il ne s‘est pas abusé lui même sur une question aussi primordiale.. J'imagine déjà la pagaille que ça mettrait et je jubile.. Les Étrangers et les Gens d'ici étaient des expressions familières aux oreilles dans notre coin de montagne, mais je suppose qu'il en va de même pour d'innombrables autres endroits colonisés par les migrants de notre espèce. Alors que les natifs en état de marche auraient pour la plupart quitté dare-dare la vallée si une meilleure situation ou n'importe quelle autre illusion leur eut été offerte Ailleurs. Ceux qui un jour avaient arrêté leur moteur volontairement sur cette terre ne courraient pas derrière des situations plus confortables. Forcément ils étaient moins corruptibles et ceci rendait la discussion compliquée sur certains sujets. Puis nous nous retrouvions entre Étrangers un peu comme on se réunit en famille ou entre vieux copains. Je crois que nous avions plus de chance de nous comprendre, et on y éprouvait le curieux sentiment de nous connaître depuis longtemps. De venir du même pays. Par certains côtés nous étions en train de créer une nouvelle lignée. Le plus exotique de tous était le patron des lieux, Michael. Un natif pur jus mais comme il venait d'une ville à côté nous préférions le voir comme une sorte d'étranger si on s'en tenait aux normes locales, ce qui facilitait nos rapports. Lui il avait juré de ne jamais s'éloigner à plus de cinquante kilomètres de son café. Décision prise sur un simple coup de tête et sans explications particulières, et jusque là il n'avait jamais dérogé à sa promesse. Je jugeais parfaitement intéressante cette idée. Il portait majestueusement ses bacchantes, qui soulignaient un petit bidon tout rond, un vrai appendice de professionnel du comptoir. Évidemment il n'était pas le dernier à lever le coude. Moi je ne buvais pas, du moins pas ce que l'on nomme ainsi. Je n'éprouve tout simplement pas pour l‘alcool un amour immodéré. Mais curieusement un monde sans alcool ne me semblerait pas un monde bien équilibré et encore moins adapté à l'homme. Je bois un ou deux verres pour trinquer ou parce qu'il m'arrive d'avoir soif. Je bois aussi le plus souvent du café. Mais il m'est arrivé de siffler pour m'anesthésier l'esprit, quand les idées qui me passent par la tête se font comment dire, trop pesantes, trop fixes. Il m'a pris aussi de boire, et même Vraiment Beaucoup Trop dans certaines circonstances, quand il s'agissait de trouver la force d'être à la hauteur. Disons le sans honte. Avec les femmes. Confessant ainsi quelques bonne Mufflées... Heureusement cela ne fut pas si fréquent dans ma vie, et je n'ai pas eu tant à souffrir de ce côté là. D'un coup dans ce réveil printanier, j'éprouvais aussi le besoin de m'occuper de mon corps. Et mon corps le pauvre avait bel et bien perdu l'habitude d'être ainsi bousculé. De chez moi en baskets et affublé d'un vieux pantalon assez large, je sortais à petites foulées et empruntais le chemin qui longeant d'abord la forêt, grimpait doucement le long des herbages avant de trancher à l'horizontale entre les arbres à flanc de montagne. Sincèrement j'en ai bavé les premiers jours, et doutais d'ailleurs que l'exercice allait continuer longtemps. Puis je pris goût au parfum matinal et à la musique sourde sous la peau quand le rythme sanguin bat à gros bouillon. Je trottinais plutôt gentiment à vrai dire, mais c'en était déjà assez pour ma vieille carcasse. Petit à petit je crus retrouver de vrais sensations. J'avais toujours été sportif et nerveux. J'ai couru plus ou moins régulièrement durant toute ma vie jusqu'à ces dernières années ou je me suis retrouvé en loques. Je n'étonnerai personne en disant que le corps a vite suivi. Auparavant j'ai fait de la boxe, du judo, de la musculation. Il y a des moments ou je me suis senti comme de la dynamite. Alors rien d'étonnant à ce que les muscles se souviennent et ne demandent qu'à repartir, mais ils ont vieilli aussi les pauvres, et je me suis retrouvé avec des courbatures et des crampes qui m'obligeaient à boiter. Pourtant vite je me suis adapté à cette nouvelle donne, et en quelques semaines à peine je redevenais quelqu'un de tout à fait présentable. Les odeurs d'herbe et de sous bois m'enivraient dans le matin frais quand je me mettais en branle...


    votre commentaire
  • Bizarrement il y a toujours moins à dire sur les braves gars. Martin le berger, qui venait aux Champions pour retrouver la civilisation. Bastien disait en douce qu'à son avis il devait se payer ses chèvres sur sa montagne. Jason qui n'était pas là depuis longtemps. Il travaillait un peu partout dans la vallée, vivant d'expédients. En le regardant je croyais me voir dans un miroir, les années en moins. Lou et Gaby. Le couple laissait ses deux petits seuls à la maison pour s'en aller écluser tranquillement. Quand ils avaient trop bu ils finissaient par s'engueuler, et parfois même sévèrement. Puis ils se réconciliaient dehors à l'ombre des massifs de la place. En général Lou lui en mettait un coup dans le slip comme il disait, et tout rentrait dans l'ordre. Tout le monde savait qu'ils ne vivaient que de prestations sociales et en parlaient à voix basse, puis si l'un d'eux approchait on se dépêchait de sourire. Johnny qui avait rêvé d'être chanteur et qui animait maintenant tout un tas de trucs commerciaux au loin dans la plaine. Je l'avais vu faire et j'avais franchement été impressionné. Il ne payait pas de mine avec ses petites jambes et son mince visage, mais il avait de l'énergie et une belle voix chaude ce vaurien, ce qui rattrapait tout. Il nous racontait que des femmes lui couraient derrière et certaines formaient un vrai fan club. Sans doute que ses tirades sur le fromage ou les collants en promotion avaient de l'effet sur leurs ovaires. De quoi pourrait-on s'étonner dans un monde pareil. Je ne vais pas oublier Salvador, le seul avec qui il m'arrivait de copiner en dehors du café. Il était agent immobilier, mais pas tout à fait en vérité, il travaillait avec une agence de la région à laquelle il reversait une partie de ses revenus. Il m'avait expliqué que la première qualité pour survivre dans ce bizness, il parlait toujours de cette façon, était d'être malin. Si t'es pas malin, tu crèves, c'est simple. Telle était la loi à l'en croire. Ce qui me faisait rire parfois était le fait que je pouvais deviner l'état de ses affaires rien qu'à la tête qu'il tirait en franchissant la porte. Je l'ai vu euphorique et faisant sonner la monnaie dans ses poches tout en descendant spéciale sur spéciale. Il carburait à la bière. Mais je me souviens de sa tête gonflée par la fièvre et la déprime avec la fin de mois qui approche à la vitesse de l'éclair sans qu'il y ait de quoi remplir le frigo, même à moitié. J'avais compris son problème. Il était trop inconstant et amateur pour réussir. C'était un rêveur, avec toujours un flot d'idées plus ou moins réalistes, des trucs à mettre le feu à tout le pays, mais il n'en sortait rien. Trop d'humanité, et de fièvre aussi. Un autre bon gars. Antoine. Un vrai numéro de cirque. Il était peintre et avait choisi de s'installer dans le coin en une après-midi, par le plus grand des hasards. Sa voiture avait lâché alors qu'il ne faisait que passer. Il grimpait le col et allait changer de pays roulant d‘un trait depuis le littoral, puis de près ou de loin il n'aurait plus jamais entendu parler de notre toute petite ville et de sa vallée traversée par une route unique. De sa Future Rue Piétonne et Commerçante.. Mais le moteur fatigué de sa voiture en décida autrement et il mit la main le même jour sur une ancienne menuiserie à louer en plein centre, le long de la rivière, avec son appartement au dessus et une antique baie vitrée surplombant l'eau. Il décida aussitôt que quoi qu'il arrive il terminerait ses jours ici. La première fois qu'il me racontait son histoire je la pris pour une sorte de jolie légende fabriquée de toutes pièces. Une idée qu'il s'était mis en tête sans la moindre nécessité comme je sais que ça arrive à certains. Puis le connaissant mieux, je pus croire que c'était du sérieux. Le type était capable de tout, comme de montrer son cul à la cantonade, mais en général il sévissait plutôt en se servant de sa langue. C'était ce que l'on appelle une langue de pute. Encore que chez lui cela confinait à l'art ou à une sorte de don naturel. Après avoir bien choisi sa cible il réussissait à mettre une pagaille définitive dans n‘importe quel agglomérat humain, non sans l'avoir convenablement étudié auparavant, et un jour un type qui venait là de temps à autre manqua de l'étrangler. Mais le gars qui avait failli y laisser sa femme dans l'histoire n'aurait pas du le prendre tant à coeur. Antoine exerçait son talent sur tout ce qui lui tombait sous la main, des couples, des copains, des associés, des frères et sœurs... Les cibles importaient peu à ce qu'il me semblait. Je me demandais à l'occasion ce qui pouvait motiver une telle sécrétion de venin, et parfois en douce je l'observais. Finalement j'en arrivais à la conclusion qu'il travaillait son talent comme un sport, un peu à la manière d'un boxeur qui cogne sur un sac pour conserver la main. Le plus étonnant était qu'il ne parlait jamais peinture, ce qui de toute façon eut posé quelques problèmes vu que nul au Bar des Champions n'y entendait un traître mot. Autant aller prêcher l'amour en enfer. Pour ma part et parce que je suis curieux de nature, j'insistai un soir pour qu'il me raconte un peu son travail. Je dus misérablement et quasiment me mettre à pleurer avant d'obtenir quelques résultats, mais finalement il lâcha du lest. En vérité il ne cultivait aucun secret, si ce n'est qu'une discussion de cette nature ne l'intéressait absolument pas. Je lui offrais un verre, qu'il me rendit bien volontiers d'ailleurs, Antoine était loin d‘avoir des oursins dans ses poches, avant de l'entendre évoquer sur un ton plutôt désinvolte, qu'il peignait régulièrement plusieurs toiles par mois et que celles-ci partaient ensuite directement pour Paris, New York, ou le Japon. Là-bas elles étaient exposées dans des galeries de très bon niveau, et le plus souvent les toiles étaient déjà vendues à des marchands avant même leur départ. J'en restais bouche bée, et cette histoire racontée sur le ton de l'anecdote au fin fond de notre vallée, et de plus par un gars que nous pouvions côtoyer tous les jours aussi simplement que le berger de la montagne ou notre facteur, m'en bouchait un coin. Bien entendu je ne tardais pas à vérifier ses dires sur internet. Tout ce qu'il m'avait affirmé s'avéra rigoureusement exact. Antoine était connu dans toutes les grandes capitales du monde, et j'en déduis aussi qu'il était loin d'être fauché. Ainsi va la vie je pensais...


    votre commentaire