• J'avais eu alors cette idée de me retaper à neuf. Cette sensation nouvelle m'était tombé dessus sans que je m'y attende le moins du monde. C'était un peu l'effet du printemps, de la montagne qui devenait à la mode, une sorte de fin de cycle avant le début d'un autre, et aussi les glandes qui fonctionnaient à nouveau et venaient réclamer des arriérés avec la force d'un bâton de dynamite. Ce qui m'était arrivé avec Danielle s'était révélé nettement moins anodin que je ne l'avais soupçonné de prime abord. On pourrait dire que ce fut le réveil d'un volcan. La piètre expérience de cette soirée le long de la rivière. Ce truc ridicule et pas plus intéressant qu'une poussée de fièvre entre les jambes d‘un ado avec trois poils sur le menton, loin de me laisser le goût amer que je craignais, m'avait mis en ébullition. Je n'étais plus que sève et doté d'une imagination qui frôlait parfois l'excès de vitesse. L'idée que durant des années je m'étais vu dans la peau d'un gentil et doux eunuque me semblait soudain définitivement cinglée. Danielle sans le savoir m'avait passablement secoué. L'épisode m'avait ressorti de mon trou à un moment où je me croyais réduit au seul squelette. Je n‘attendais plus grand chose dans cette allure, et c'est bien le cas de le dire. Le matin suivant je m'étais planté devant un miroir pour me livrer non pas à un examen de conscience, parfaitement inutile après des années à ruminer la honte et des péchés imaginaires, mais pour y découvrir un être humain toujours sur pattes et bel et bien vivant. Je m'étais alors décidé à craquer le chèque reçu pour solde de tout compte des voyages andalous pour me rhabiller, et ce n'était pas un luxe. Je finissais par ressembler à un épouvantail pelé, et quoi qu'on en dise, cela ne me rendait pas spécialement romantique. Nous fîmes Raymond et moi le tour de grands hangars dans lesquels on apercevait des dizaines de mètres de portant et des milliers de fringues pendus qui attendaient leur heure comme des peaux de chiens morts. Je trouvai que ça sentait fort la naphtaline et la musique d'ambiance mettait le bourdon. Je vis Raymond qui retrouvait le sourire à me voir essayer des trucs neufs et encore tout raides. Un moment avec une chemise blanche et un jean très foncé je me mis à danser, j'étais sensiblement d'humeur à apprendre le flamenco, et tourner un film dans la foulée. Une sorte d'histoire sentimentale où un type qui me ressemble se barre avec l'héroïne dans la scène finale. Sans cesser de lui peloter le cul en roulant des patins. T'as l'air malin comme ça. Fit Raymond de sa vieille voix traînante. Mais la grosse claque je me la pris en parvenant aux caisses pendant que très sérieusement je me demandai si je n'avais pas perdu la tête. Tout mon fric passait dans ce coup de folie et je me retrouvais raide à nouveau. J'avais vu un peu grand je le savais, pour mes faibles épaules avec les bras chargés de ces boîtes de chaussures et tout le reste. La caisse enregistreuse sembla prise de panique quand ce fut mon tour et n'arrêtait plus d'émettre ses immondes bruits de clochettes. Bling.. bling.. driiing.. Je la fixais comme un fou en me demandant à chaque seconde s'il n'y avait pas un moyen d'abréger le cauchemar parce qu'après tout j'ai toujours prétendu être quelqu'un de réaliste.  Mais je me sentais coincé pour d'innombrables raisons parfaitement identiques à toutes celles qui nous amènent à commettre ces erreurs irréparables que nous semblons voués à répéter jusqu'au dernier souffle. Personnellement je n'ai jamais dû vraiment comprendre pourquoi un et un font deux quand il s'agit de compter. Donc j'attendais le coup de grâce en me répétant que j'avais déjà survécu à cent balles dans la nuque dans des conditions plus ou moins similaires. Au point que une de plus ou de moins n'allait pas changer grand chose à mon destin. Mais avant que j'ai eu le temps d'esquisser un geste pour signer mon arrêt de mort en bas d'un chèque qui n'était rien qu'un bout de papier, Raymond s'était précipité avec un paquet de billets en main et règlait le total de la note qu'avec le coeur battant je découvrais sur l'écran de la caisse enregistreuse. Je devenais à mon tour aussi rouge que lui mais de confusion cette fois et tentai de parlementer. Laisse un peu tomber tes histoires, ça n'a aucune importance, et cherche pas à comprendre. Moi j'ai Pas Besoin de me Rhabiller.. Et il y a du monde qui nous écoute.. Je te signale. Fit-il en me coupant net d'une mine contrariée. Je ne comprenais que trop bien. Nous fîmes aussi ce qu'on appelle benoîtement les courses. Des boîtes de conserve, le pain, les pâtes, les sauces, le fromage, et j'en passe. Tout ce qui est Normalement nécessaire à l'entretien de la carcasse. Raymond qui faisait les siennes de son côté n'oubliait pas le pinard. Il ne faisait plus dans l'économie le vieux, c'était plus maintenant que grands Bordeaux et compagnie. Il était clair que les dernières salves seraient flamboyantes sur notre coin de montagne.Encore une fois il me fit un cadeau royal sous la forme de deux belles bouteilles millésimées et lourdes comme des bombes, une pure folie. Je ne pus éviter une larme au coin de l'œil. Arrête de tirer cette tête d'enterrement. Tu vas me rendre malade pour de bon. Il persifla en me poussant du coude. Durant quelques secondes la vie me sembla moins cruelle que d'habitude, presque à échelle humaine. Ce qui ne dura pas quand je me souvenais qu'elle se refuse à m'expliquer son rapport direct avec la mort et quelques autres calamités de ce niveau. Même si Raymond allait bientôt obtenir une première réponse bien réelle. Ne changeant toujours rien à mon à priori dans la mesure où je ne voyais pas comment il pourrait m'en faire profiter. Heureusement pour moi. Je pensais à voix très basse, mais vraiment en douce...


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  • Nous avons roulé doucement dans toute la partie des virages en épingles à cheveux, puis la route traverse quelques gros bourgs et finit par s'élargir. En déboulant sur l'immense plaine côtière, je ressens toujours le même émerveillement, c'est aussi plat et grand qu'un désert, mais d'un vert clair et presque déjà citadin. Un vert civilisé, plus doux et chaud que le vert de la montagne, mais je m'y sens moins en sécurité. Une plaine pareille peut accueillir de grandes foules, des flots de voitures et d'étrangers, des touristes par dizaines de milliers, des voyous et des garnisons blindées, et il y a encore de la place pour construire des villes entières, et des aéroports, des gares, des rivières de béton. Nous y sommes justement sur la nationale en plein milieu d'une colonne de camions et de caravanes qui rêvent de me compacter, et Raymond qui n'a toujours pas retrouvé la parole, ce qui en soi ne me dérange pas du tout, si ce n'est qu'il fume trois fois plus que d'habitude et largue des mollards comme des huîtres par la fenêtre. J'évite de regarder. Puis à mon tour en manque d'oxygène je me mets à tousser. Instant qu'il choisit pour d'un coup rompre le silence. Je vais mourir, j'en ai plus pour longtemps. Il lâche d'un trait. La foudre me traverse et je fais mine de vouloir m'arrêter sur le bas-côté, mais Raymond redresse le volant aussitôt. T'arrêtes pas, ça sert à rien. Tu vas pas te mettre à faire du cinéma. Maintenant Toi Aussi.. C'est pas possible ce que tu me dis là. Je crie comme un imbécile. Eberlué et prêt à faire du cinéma justement. La gorge coincé dans le pire étau qui soit. Avec la science d'aujourd'hui, et les moyens de la médecine, plus personne est condamné d'avance, il ne faut pas parler comme ça. Mais tu es fou ou quoi.. Pourquoi, t'as un foie neuf à me passer, et des reins, sans compter tous les trous que l'alcool a laissé dans l'estomac. Tu dis pas un mot devant Monique, c'est tout ce que je te demande. Je veux qu'elle vive tranquille un petit moment encore. La pauvre elle mérite pas ça, avec tout le mal qu'elle s'est donné pour me sortir de la bibine. Je suis estomaqué, tremblant, mais j'essaye de relancer la conversation; Comment tu peux être sûr de ce que tu me dis, et qui a pu faire un pronostic pareil. Je grognai. Presque méchant. Il hocha la tête d'une manière qui me fit clairement comprendre à quel point je ne suis pas toujours à la hauteur. Il est plus simple d'aligner quelques belles phrases dans le silence de plomb de l'écriture, que de trouver les mots justes pour un ami qui crève pour de bon et sous ses yeux. Pourtant j'étais en colère aussi, après moi, après lui, après la terre entière. Je finis par me demander sérieusement dans le silence complet qui régnait à nouveau dans la voiture, si lui et moi n'avions déjà dévoré notre part d'humanité, et il ne restait maintenant que les déchets autour de l'os, ultimes et malodorants lambeaux. Que même les chiens ne se disputent pas. Mais tout ce que je dis là c'est du vent. Raymond était face à son destin et il me restait quelques détails à régler avec le mien. J'avais le temps. Je souffrais pour lui, je compatissais, sans ressentir le moins du monde son vertige, ou alors d'une manière que je qualifierais d'artistique, comme de s'admirer le fond du nombril. Paresseux et dérisoire réflexe si on veut se donner la peine de bien peser le poids réel de ces mots qu‘il venait de prononcer.. Je vais Mourir.. . Puis prenant conscience du gouffre définitif qui nous séparait, je choisissais de me taire et de ne plus la ramener. Dans l'horrible humanité...


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    Ca a l'air de bien aller toi. Fit Raymond en m'observant du coin de l'oeil. Oh là. Regarde devant toi. Je répondis du tac au tac tout en posant ma main sur le volant pour le redresser légèrement. Il éclatait de rire, enfin si on pouvait ainsi appeler le gargarisme s'échappant tant bien que mal de la vielle carcasse., qui d'ailleurs sentait déjà fortement le pinard. D'un autre que lui une telle chose m'aurait été tout simplement insupportable juste après le petit déjeuner, mais on ne se voyait pas souvent, et quelques heures en sa compagnie me faisaient l'effet d'un beau feu de cheminée en plein hiver. J'étais tout heureux qu'il ait accepté de m'accompagner au centre commercial situé à une cinquantaine de kilomètres à l'orée de la bande côtière. Je me retrouvais comme un gamin en sa compagnie. D'habitude en cas de besoin il me prêtait son break et restait sagement chez lui à se faire dorloter par Monique, sa bonne grosse femme qui l'adorait et qui essayait dans son dos, en vain de planquer les bouteilles. Mais elle avait aucune chance dans cette guérilla et ne se faisait pas d'illusion. Elle continuait par simple réflexe, et pour meubler le silence quand il n'y avait rien de bon à la télé. Soudain je le vis se crisper à la sortie d'un virage. Merde, il ne manquait plus que ceux là. Il siffla. Nous étions en plein dans le défilé rocailleux où en principe il vaut mieux respecter le cinquante si on tient à sa peau. Devant nous les gendarmes déviaient les voitures après un accident, et nous obligeaient à rouler par alternance sur une seule file. Il nous fallut ralentir puis stopper en attendant que l'autre file passe. Ainsi on se retrouva carrément à la hauteur du gendarme qui réglait la circulation et comme il semblait reconnaître Raymond le type se pencha vers nous pour dire un mot. Il n'y en a pas pour longtemps. Il nous fit. Il y a un camion qui s'est renversé, et on vient de ramasser le chauffeur à la petite cuillère. Il nous dit encore d'un air entendu. Puis je le vis renifler à l'intérieur de la voiture et son visage se transforma. Le flic prit un air franchement désolé. Il se redressa d'un coup comme en colère, mais il se calma aussi rapidement et d'un ton gentil revint s'adresser à Raymond. Tu devrais laisser le volant, Raymond, ou tu préfères qu'on vienne te chercher dans le même état que celui-là. Je vis Raymond devenir encore plus rouge dans la confusion qu'il ne l'était déjà en temps normal sous l‘effet de l‘alcool, et j'étais réellement peiné pour lui. On évita de se regarder. Je crois qu'il a raison, tu devrais conduire, si tu le sens bien sûr. Ca me rendrait service. Il murmura en fixant son pare brise. Je lui balançais un petit coup sur la cuisse. Te biles pas, Entre Nous ça compte pas ce genre de chose. Je pris le volant et Raymond se renfrogna d'une façon inhabituelle dont la signification m'échappait. J'avais jusque là eu le sentiment que tout lui glissait sur la peau comme s'il avait été recouvert d'écailles, et à la limite on s'était déjà bien marré lui et moi sur le sujet. C'était loin d'être un secret honteux et plutôt une réalité humaine que nous prenions en compte sans faire d'histoire; Je me souvenais même d'un jour de champignons où il nous avait fait le coup du poivrot pendant que les cèpes frissonnaient dans la poêle avec le lard et les oeufs. Il n'y a que la bouffe, les femmes, et le vin qui soient de bonnes raisons de vivre. Tout le reste c'est du bidon. Ils peuvent se le met' dans le cul toutes les grosses huiles qui veulent donner des leçons.. Les politicards et tous les autres avec leurs cravates, .. y a que ça qui compte mon gars.. Alors vive la coloniale.. Il faisait d'une voix tonitruante, debout dans la cuisine la bouteille à la main. Moi à la table j'étais plié en deux. Viens par ici ma bibiche que je sente un peu tes gros nichons. Mon cochon tu vas t'en ramasser une. Répliqua cette dernière et qui fut vraiment sans rire à deux doigts de lui donner. A présent je le voyais comme malade et sans le moindre sens de l'humour. Quelque chose ne tournait pas rond...


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    Ainsi donc les étrangers rôdaient et dans les premiers temps les gens leur vendaient tout ce qu'ils voulaient pour une bouchée de pain. Mais très vite les langues se sont déliées et les prix se sont mis à grimper à toute vitesse. Maintenant il vaut mieux se lever tôt le matin pour dénicher une bonne affaire. Heureusement pour moi l'agricultrice qui me louait ma maison m'avait prit en sympathie, et ne courrait pas après l'argent, faute de quoi voilà un problème supplémentaire et sérieux à régler. Néanmoins je ne souffrais pas trop de ces minuscules dépendances qui mises bouts à bouts avaient pourtant de quoi briser une âme. C'était ma vie et je vivais dans l'éternité du matin au soir. Puis il me restait les nuits noires pour oublier l'humiliation. C'était une petite maison pas des plus anciennes, et l'homme qui l'avait bâtie au début de l'autre siècle travaillait à la mine qui a fermé depuis, dans une vallée voisine. Mais comme il élevait aussi quelques moutons, ou des vaches peut-être, c'est ce qui explique le hangar sur le flanc, il s'était installé sur ce beau pré relié à la route par un chemin caillouteux. A l'arrière il restait une vieille serre, qui malgré quelques verres cassés, tenait encore correctement debout. La forêt quand à elle démarrait pratiquement au bout du jardin. C'était une belle forêt de feuillus et on y voyait beaucoup une sorte de longs bouleaux noueux. Elle était remplie d'oiseaux et plusieurs sources ou résurgences la parsemaient. Par temps de pluie, l'eau semblait suinter de tout le sol, et voilà certainement ce qui expliquait l'importante présence de mousses et de fougères. C'était un fameux coin à champignons comme une grande partie de la région, et grâce à Raymond je finissais par m'y retrouver et à l'époque des cèpes je m'en mettais jusqu'à la gueule. Je n'avais pas encore trouvé le courage d'en ramasser assez pour m'en aller les revendre aux restaurateurs de la plaine ou du littoral. Mais il était certain que si la disette persistait, il me faudrait réfléchir à cette opportunité. Après tout j'avais bien récolté des pommes à la tonne lors de mon arrivée dans la région cinq ans et demi plus tôt. J'avais depuis trois ans remplacé les verres cassés de la serre par du plastique et l'édifice avait repris du service. Je m'étais dit que de bons légumes faits maison et sans aucuns produits chimiques étaient ce qu'il y avait de mieux pour le moral et la santé, sans compter que les épiceries de la ville nous vendaient ces produits indispensables un peu trop chers à mon goût. Ainsi j'avais des tomates, des aubergines, des concombres et des courgettes. Je ne m'en occupais pas trop à vrai dire, et ce qui voulait bien pousser, poussait, puis tant pis pour le reste. Le Sel de la Terre se préoccupait de ma survie comme il l'entendait et je m'en remettais un peu à lui sans m'embarrasser de questions. Je contemplais ce spectacle comme le baromètre de ma vraie valeur mystérieuse sur laquelle je n'ai pas à me justifier ni m'appesantir. Atteignant par là et sans le savoir une forme de sagesse lente et durable. Ne souffrant d'aucune souillure intellectuelle. Essentielle;. En général donc je ne manquais pas de tomates ni de concombres, avec toujours quelques incertitudes pour les autres légumes. Néanmoins dans l'ensemble j'étais assez content de mes récoltes. Évidemment comme tout gars qui a pris les habitudes de son temps et qui a été jeune à une certaine époque, j'avais toujours en production mes trois ou quatre plants d'herbe à fumer nichées au fond de la serre derrière les rames de tomates. L'affaire était assez facile du printemps à l'automne, l'air était doux et le soleil loin d'être chiche au dessus de nos têtes. Pour l'hiver je faisais des réserves et il m'est arrivé de faire marcher un projecteur pour aider ces petites bêtes à pousser. C'était un secret de Polichinelle dans la région. Tout le monde savait que de petites plantations domestiques existaient dans pas mal d'endroits discrets, et les gendarmes qui avaient leurs nez partout ne devaient pas être les derniers à le soupçonner. Heureusement pour nous il existait comme une sorte de règle de bonne conduite, et à condition de ne pas faire de conneries trop ouvertement, chacun pouvait fumer son petit pétard en paix sur le pas de la porte. Dans l'admiration des étoiles. Sans doute que cette politique judicieuse servait à adoucir les esprits aux yeux de la maréchaussée et à maintenir ce que l‘on appelle maintenant la paix civile. Bien entendu cela tenait éloigné aussi, les revendeurs avides et violents qui pullulent dans les grandes villes. Tout ceci pour dire que pour ma part je comprenais parfaitement l'intérêt soudain pour des petits coins de paradis cachés comme le notre...


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  • Je terminais mon travail sur l'Andalousie et me retrouvais chez moi sans rien faire. Les pluies avaient cessé et quoique les nuits semblaient encore fraîches, les journées devenaient belles. Franches et lumineuses, baignées du soleil calme particulier à la région. Et je pouvais rester torse nu dehors parfois dans les meilleures heures. Ce dont je ne me privais pas. J'adorais les caresses tendres sur ma peau de cet air tiède et blond. Nous vivions bien dans le sud et je m'en réjouissais, avec en prime l'herbe grasse des coteaux qui offraient l'illusion d'un petit coin de Suisse. Je n'avais toujours pas réparé ma voiture, le garage était trop cher. Il allait falloir me résoudre à mettre la main à la pâte, dès que j'aurais pu récupérer les bonnes pièces à la casse. Je me disais régulièrement. J'aimais pas trop ça la mécanique, mais bon.. Les traductions ne me laissaient que de quoi payer le loyer et vivre en paix quelques semaines supplémentaires, puis reviendrait le temps du bricolage. Je touchais aussi un peu d'aide sociale, avouons le. C'est une des grosses tares de ma génération un peu spéciale d'avoir ainsi fabriqué des gens qui s'intéressent à tout, mais qui vieillissent mal souvent. Trop instables, surtout vers la fin quand il s'agit de terminer la course. Dans le sprint final. On commence seulement à prendre la mesure du phénomène et les autorités feraient mieux de s'en inquiéter. Je n'écrivais pas beaucoup non plus. J'avais la tête ailleurs. Mais comme je l'ai déjà expliqué ce n'étaient que des lignes.. Durant plusieurs jours je ne fis que tourner autour de la maison., et je remarquais à l'occasion le va et viens qui remuait la campagne. Un curieux manège qui ne pouvait plus passer inaperçu. On en parlait aussi beaucoup En Bas en ville et aux comptoirs des cafés. Ou les jours de marché. Les étrangers débarquaient en force et ils achetaient cher le moindre caillou. Il n'était plus rare du tout de croiser des anglais, des allemands ou des hollandais sur les petites routes oubliées. Ils fouinaient de partout avec le nez au vent et leur mine agaçante. Cinq ans plus tôt je n'avais eu aucun mal à trouver cette maison, d'ailleurs tout était quasiment vide aux alentours. On ne comptait pas alors les fermes à l'abandon; Les gens se marraient en douce quand ils voyaient des types comme moi prêts à s'isoler sur les flancs de la montagne que leurs parents ou leurs grands parents avec un malin plaisir avaient déserté pour les villes merveilleuses des plaines côtières, ou pour devenir fonctionnaires dans les infâmes cités modernes. Puis voilà que la campagne devient une vraie poule aux oeufs d'or. Les citadins écœurés ne rêveraient plus que de ça, poser leurs valises de marque dans les coins les plus tordus et inaccessibles qui soient. Une sorte de folie collective assez semblable à l'exode en temps de guerre. A croire que les barbares avancent en rangs serrés et sans une ombre de pitié écrasent et repoussent la civilisation sous leurs bottes. Se réfugier alors au fond de vallées perdues qu'il faudrait s'empresser de fermer à double tour... Seulement l'air est pollué En Hauteur qu'on se le dise bien. Si on en juge d'après les dernières études scientifiques qui prédisent l'étouffement de la planète et la fin de tous nos petits soucis. Inutile après ça de s'abuser quand Au Vert Trompeur.. quoique nous savons tous au fond de nous -mêmes comme nous saurons nous montrer obstinés. Gare aussi au premier qui lâchera le morceau et ne fera plus semblant. A ce rythme le silence aussi deviendra une forme d'illusion si nous perdons la dernière bataille. Et en sommes nous si loin...


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