• Turn.. Turn.. Turn.. (125)

     

    Mû par la faim je finis dans la serre à la recherche de ce qui avait bien voulu pousser. Je tombais en admiration devant des plants de tomates à moitié secs pourtant chargés comme des sapins de noël de haut en bas. Dans le fouillis verdâtre et brun des aubergines m'attendaient qu'il me fallut cueillir en prenant garde à un duo de guêpes obstinées. De quelque côté je me retournais J'avais l'impression de les avoir dans mon dos. Elles m'en voulaient. Je ramassais encore un concombre raide comme un gourdin et très frais dans la main. La maison odorait de ma propre vie et je la reniflais qui se mélangeait à d'étranges moisissures apparues l'hiver précédent en haut d'un mur intérieur. J'avais été étonné dans la nuit tard de la retrouver comme si rien ne s'y était passé. David n'avait pas du la rater la jeune Mona. En voilà une qui m'avait tenu à l'écart. Une sorte d'intouchable. Mais j'en comprenais mieux les raisons à présent. J'étais sorti d'hivernage assez mal en point. Ce n'étaient pas tant les muscles que la tête qui me bloquaient dans ce que je devais faire. Ma détresse me semblait charmante certes, seulement une Mona pouvait me faire paniquer d'un simple regard. Je croyais alors avoir accepté mon sort et la mort sur pieds qui allait avec. J'aurais du me payer un gros bide et me prendre un peu plus au sérieux dans mon rôle de pauvre type. La retraite ne m'attendait-elle déjà comme une maladie. Bien sûr ma civilisation s'est donnée un mal de chien pour en arriver à nous faire rentrer dans le crâne comment chacun doit se comporter tout au long d'une vie. Je le sais que les conneries se font à vingt ans et qu'après on s'écrase. Je suis d'accord qu'il y a un âge pour tout. Néanmoins j'ai mon rythme propre et je suis vraiment très nerveux. Un fou furieux même. J'ai vu la mort une nuit briller entre deux étoiles. Je ne dormais pas. J'étais bien éveillé dans la nuit sèche et froide. Je n'ai pas vu n'importe quelle mort. J'ai vu la mienne propre. Mon destin écrit par quelqu'un d'autre que moi. Autrement plus sérieux. Sur le coup j'étais assommé. Mais ce n'est pas tant l'issue qui a fini par me révolter, que l'ennui, le terrible ennui qu'il m'aurait fallu supporter en l'attendant. Il m'importe peu d'avoir froid ou chaud, de sentir la faim me tenailler, la solitude m'éprouver, c'est l'ennui qui m'inquiète. Et mon ennui est si particulier. Qui ressemble à un gouffre. Impossible à combler avec des aventures en peau de lapin. Je ne mords pas aux conneries de ce siècle. Je n'ai pas plus envie de partir en croisière que de me dévouer à la cause des pingouins sur leur banquise. Pas plus que de perdre mon temps à courir autour de la terre. D'ailleurs je déteste Courir Pour Rien... Cavaler sur mon bout de montagne vaut largement plus qu'un trek acheté au rayon surgelé de mon supermarché. Traverser comme ça l'Amérique du nord au sud à pieds, ne me tente pas plus qu'une biture à l'eau tiède. Mon coin de pays contient un univers suffisant. Il s'est débrouillé pour résumer d'un horizon à l'autre tous les mystères. Pareil à une scène de théâtre. Tout y est plus vrai que nature. Avec des montagnes en bois et carton encore mieux que dans la réalité. Éternellement vertes jusqu'en leur milieu et enneigées au dessus. Des tavernes illuminées et leurs ombres chinoises qui dansent et font la fête. Des gens souriants dans la rue et qui jamais ne vous répondent de travers. Même les figurants ne sont pas là par obligation. Le dernier de ces malheureux est prêt à vous écrire tout un roman sur mesure. Rien que pour vous. S'il vous trouve une bonne tête. Je n'oublie pas la mer de toile huileuse où une ballerine à poil est prévue pour faire bander le dernier spectateur encore insensible à l'histoire. Et que lui aussi ait sa chance de ne pas s'ennuyer. Pour la mer de toile ondulée, Je la fixe d'ailleurs moi aussi quand je suis à court d'idées et m'ennuie. J'y compte assez de vagues à enfourcher pour aller d'un port au suivant puis au dernier. Du premier où j'ai trouvé la vie et assez d'espoir pour remplir tout seul le vide de cette naissance, jusqu'à la mort et la fin des illusions. J'y ai compté suffisamment d'échantillons de toutes sortes. Je pourrais remplir mon grand Arche de Noé moderne et de quoi repeupler un nouvel univers. Pourquoi pas écrire un bouquin. Au moins ce nouveau monde serait à mon échelle. On ne s'y bousculerait pas dans des métropoles qui ne sont pas faites pour de vrais humains. Je ne peux pas vivre parmi les robots. Ce n'est pas ma nature. Je n'ai rien contre au fond. Je suis seulement un peu plus lent que la moyenne. Je manque d'air. De plus maintenant que me voici vraiment comblé, je serais fou d'aller chercher plus loin. Amoureux comme je suis je ne risque plus de m'ennuyer. Ma nouvelle histoire est une vraie occupation à temps plein. Aussi louable qu'une belle cause humanitaire. Orgueilleuse et mortelle dans son essence. Faut-il encore que très vite je trouve l'énergie d'un capitaine d'industrie. Éventuellement mon cœur pourrait claquer de tant d'émotion. Mais je ne suis pas devenu fou et je sais ce qu'il me reste à faire. Travailler le scénario. Me tailler une histoire sur mesure. Me la mitonner aux petits oignons. Je suis le seul maître à bord à présent. Cela ne tient qu'à moi de ne pas rater mon affaire. En premier lieu reprendre des forces et me préparer un bon petit repas avec les légumes de la serre et du fromage qui attend dans le frigo. Deuxio. Prendre le temps de réfléchir encore et surtout ne pas m'affoler. Je n'ai pas attendu toute une vie pour rien. Il n'est pas question de perdre mon calme au mauvais moment. N'ais-je un double au sang froid. Ses veines emplies de mercure sont aussi les miennes. Il me doit tout et c'est peut-être le moment pour lui de solder une partie de la dette. J'ai une vie entière investie dans l'esprit d'un vrai héros. Son souffle déjà me revient brûlant. J'ai le sentiment de me retrouver avec un compte bancaire plein à craquer, et sans le savoir mais je viens de l'apprendre, mes économies font de moi un milliardaire; Les intérêts ont sacrément gonflé le capital au fil du temps. Mais surtout pas question pour autant de ressembler à une espèce de petit rentier. C'est vraiment pas ma nature. Bien au contraire. La machine a chauffé. La tuyauterie est à deux doigts d'exploser. La chaudière un peu longue à démarrer au début je reconnais, est d'un rouge vif qui ferait peur à plus d'un. Mais pas à moi et pour le prouver je vais continuer à l'enfourner comme un fou. Du bois de chauffe j'en ai pour dix ans d'avance. Et je peux y aller. Je mets de la musique en préparant mon repas. Incroyable,.. la radio ouvre pile sur une chanson que j'avais pas écouté depuis des années. Le genre de truc qui me ramène quelques années en arrière, mais dans mon état d'esprit me regonfle encore plus à bloc. En vérité cela ne veut rien dire, je suis léger comme une plume. To everything.. Turn.. Turn.. Turn... Je me mets à danser avec le concombre à une main, une tomate dans la seconde.. There is a season Turn.. Turn.. Turn;... And a time for every purpose, under heaven... J'exécute un entrechat et m'envoie le refrain.. Di dou du di di dou....A time to dance, a time to mourn... And a time for every purpose, under heaven... Ce qui m'amène à décider de prendre mon repas dehors et c'est le meilleur endroit pour continuer à réfléchir. De toutes les fenêtres et les trous de la maison s'échappe la joie de vivre, le grand souffle de l'homme serein sur l'adversité et l'aspect sombre du monde; Son fiel sucrée...

     

     

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