• Un Crachat de Dieu .. (88)

    Je remarque soudain que la nuit n'est même pas encore tombée. C'est vrai que nous sommes arrivés tôt aujourd'hui. Qu'est-ce qui a pu me faire penser que nous étions en pleine nuit alors que le soleil rougeoie à l'ouest au dessus de la ville. Il ne brûle pas puisque c‘est un soleil du soir, d'un rouge léger et décroissant. On le dirait peint à la main et à l'eau même. Tout d'ailleurs me paraît pareillement stylisé et presque organique. La matière à cette heure semble vouée à jouer son rôle primordial. Elle ne pèse pas. Nous baignons dans l'essentiel. Tout Me Parle dans ce Décor... Je dis cela mais je ne comprend rien en vérité, et cela ne me cause aucun mal de tête. Voilà l'incroyable nouveauté qui fera de cette soirée un moment unique et va marquer mon histoire pour toujours. Je me fous de savoir.;;. Les fondements scientifiques ne m'intéressent plus. Je me contente de tirer sur ma clope et j'ai comme l'impression qu'Isabelle vient de se rapprocher de quelques centimètres. Je me tourne vers le ciel dans cette attitude qui m'est venue toute seule quand l'étrangeté me parût si flagrante que je ne pouvais plus l'ignorer ou faire semblant. Continuer à dormir debout..; Le Diable venait de me frapper en plein gueule.. Deux avions tracent des lignes blanches au dessus de moi à dix mille mètres. Ils foncent vers le sud et font partie de l'étrangeté. Deux boites de conserve en plein ciel et leur cargaison de viande humaine. Il y a mille ans avec une vision semblable un homme ou une femme finissait au bûcher. Maintenant si je dis que le monde entier résulte d'un crachat de Dieu sur son propre reflet dans le miroir d'une mare de sang au paradis;... C'est tout juste si je me ramasserai un sourire de compassion gênée. Les temps changent et le ciel est toujours du même bleu. La ville s'assoupit et je commence à croire qu'il ne va plus rien se passer ce soir. Que peut-il arriver de grave au milieu d'une douceur pareille.. Isabelle se tape sur les cuisses en se redressant. Il faudrait peut-être remonter. Elle me fait. Je rouvre mon esprit pour l'observer avec ces mêmes yeux qui eux ne s'étaient pas refermés. Elle glousse et me dévisage. J'ai toujours pas répondu à ta question.. Oui..; Elle me lance d‘une voix assurée. Je me donne du mal pour vivre, et c'est pas facile tous les jours.. Tu peux me croire.. On y va ?.. Elle continue très gentiment. Nous nous levons et reprenons le chemin de l'ascenseur. Nos épaules se touchent et je sens sa hanche. J'ai vraiment le sentiment que si je la prenais par les épaules elle se laisserait faire sans l'ombre d'une histoire. J'ignore seulement ce qu'elle pourrait avoir comme réaction si sans prévenir je me mettais à lui caresser le cul. Au moins à ce stade. Le toubib s'affaire auprès de Raymond à notre retour. Il m'a l'air toujours aussi rigolo, et je me demande quel effet sa tête peut avoir sur ses clients. Si ça joue dans leur destin. Indubitablement cela joue et ne peut être complètement neutre. Je crois qu'il me sourit, mais rien n'est sûr. C'est peut-être sa tête normale et le sourire en fait partie. Il touche un peu à tout et plus précisément sur ce qui me paraît être le débit des sondes. Il reprend à nouveau la poignée de Raymond qu'il garde ainsi de longues secondes. Interminables. Puis il se penche et l'ausculte au stéthoscope sous le voile. Ce qui me permet d'apercevoir la peau de sa poitrine blanche et sèche. Elle évoque pour moi certains papiers d'emballage de mon enfance chez le boucher notamment. Monique choisit cet instant pour se remettre à sangloter. Le toubib se retourne légèrement pour l'inciter à se rasseoir. Il s'empare de sa main et la pose sur celle de Raymond dans une scène poignante au possible. J'en ai les larmes aux yeux comme tout le monde. Je me dis que ce n'est que la vie et qu'il faut faire avec. Il se tourne vers David qui affiche un visage neutre et serein. Normal c'est David et c'est son métier. Il se montre solide dans l'épreuve. Il a du répondant;. Il assure.. Le toubib a enfin l'air satisfait. Content de lui. L'Histoire Suit son cours Normalement.. Je réalise qu'il vient de mettre en marche un appareil qui déroule interminablement une onde électrique que je vois s'élever et mourir. Elle me fascine comme si je comprenais enfin les raisons de toute la folie qui affecte l'humanité, toute cette course en avant dans le monde des machines, avec ce génie humain que trop souvent je prends pour un simple gaspillage. Voilà donc à quoi ressemble la vie électrique intérieure des hommes. Je me dis. La vraie raison de toutes ces forces gaspillées depuis des millénaires. Je serais presque fier de ma race tout à coup. Si dès demain il ne me fallait retrouver la noirceur de nos esprits qui pris l'un après l'autre et séparément ne valent pas grand chose. Le toubib recule d'un pas. Un petit coup d'œil encore autour du lit et il s'arrête sur David. Je ne bouge pas d'ici cette nuit.. Je suis de garde.. Si.. D'un geste vague il signifie quelque chose de tout aussi vague. Personnellement j'ai l'impression d'avoir compris. Je me suis penché vers Raymond qui ne montre aucun signe de vie. Mais peut-être qu'il dort simplement. Le toubib nous aurait averti je crois s'il s‘était passé quelque chose. Je le fixe un long.. Très long moment. Au point qu'il me semble devenir irréel. Il m'aide je le sais, à Progresser Encore.. prendre conscience de l'irréalité du monde et de tout ce qui l'entoure. Nous vivons Je le Sais.. dans une sorte de rêve éveillé et bruyant. Interminable. Mais rien n'est clair. La vie.. La mort.. Les étoiles.. Les lois de la nature d'où viennent-t-elles?.. Je perçois un cil qui bouge. Lentement et comme s'il voulait s'ouvrir. J'ai soudain l'intuition que le toubib est passé par là. Il l'a aidé à nous rejoindre en manipulant tout ce machin, les sondes, les ondes électriques, les robinets.. . J'en suis certain maintenant qu'il ouvre les yeux et m'aperçoit. Je devine un mouvement autour du lit mais personne ne se permet de venir nous déranger dans l‘ultime tête à tête. Le toubib lui s'est déjà tiré vers d'autres mystères. Je me contente de lui sourire comme je viens d'apprendre à le faire avec notre équipe de professionnels. Raymond.. Je lui susurre à peine mais le(mon;.) visage tout embelli. Volontairement.. Je viens de passer Pro moi aussi entre la descente à la machine à café et le retour où je lorgnais les fesses d'Isabelle. Alors que je crois percevoir un geste de sa main libre. L'autre est jalousement serrée par Monique qui ne fait qu'inonder le sol de ses larmes silencieuses. Moi je l'observe avec une bonté éternelle mon copain. Je diffuse seulement pour lui un océan d'amour et d'amitié. Je le fixe dans les yeux en gloussant presque de plaisir. J'essaie avec tous mes moyens de lui donner ce que j'ai le sentiment de lui avoir refusé auparavant. Par égoïsme, flegme, ou seulement ignorance.. Je balance lentement la tête au dessus de lui pour qu‘il sache comme définitivement je l'aime... Jusqu'à ce que je le vois remuer ses lèvres sombres et je devine qu'il cherche à me parler. Alors je me penche jusqu'à sentir son souffle crémeux et fade. Tiède et écoeurant. Extraordinairement humain. Il doit s'y reprendre à deux fois avant que je puisse comprendre ce qu'il tient à me dire. Je finis par entendre mais je ne suis pas sûr d'avoir bien compris. Comme si c'était carrément impossible à croire. T'e'm'prend pour un Con... Il répète à deux reprises plus ou moins bien. Il me faut quelques petites secondes d'immobilité afin de permettre à mon cerveau de valider la phrase. Puis je me mets à rigoler comme une baleine au dessus de lui. Parce que je ne trouve rien de plus intelligent à faire. Mon Dieu. Merci de me rappeler qui je suis réellement par la bouche de Raymond. Lui il n'a plus les moyens de se marrer. Son corps à bout s'y refuserait mais son esprit;... Me Passe le Flambeau.. Tu me Prends pour un con... Heureusement j'ai la présence d'esprit de camoufler cette histoire par des espèces de gros sanglots lourds et théâtraux. Mais qui pourrait les prendre au sérieux, et après un moment je préfère m'éloigner du lit pour me réfugier à la fenêtre comme si je m'astreignais à méditer sur les grandes énigmes qui nous écrasent. Je rencontre le regard de David qui avec un sourire contenu me fait comprendre qu'il n'est pas dupe. Lui aussi il ne faudrait pas le prendre pour un con. Il serre les dents pour garder une contenance et ne pas s'écrouler de rire. Mais il n'y a rien de pire que le rire communicatif surtout dans des moments aussi tendus. Sophie et Isabelle commencent à s'y mettre elles aussi comme il fallait s‘y attendre. En moins de trente secondes nous passons de la tragédie à un spectacle de cabaret monté de toutes pièces et à la va vite. Il n'y a plus que Monique à respecter les circonstances, seule vraie innocente. Nous l'excusons et la comprenons. Pendant que nous de notre côté nous faisons ce que nous pouvons pour retrouver un minimum de dignité. Je croise le regard d'Isabelle qui garde ses jolies lèvres closes. N'empêche que derrière celles-ci elle se marre pareillement. La vache. Au point que ses joues tremblent. Elle soutient mon regard sans problème et cette fois je me dis que c'est du costaud cette affaire. Qui sait maintenant comment va finir toute l'histoire. Mon regard se perd ensuite sur la ville et la nuit qui tombe belle et violette comme la cape immense de Mandrake le magicien. Inopinément j'ai un doute. N'était-elle plutôt rouge à l'intérieur et noir au dehors?.. Décidément je vieillissais à la vitesse de l'éclair à cette époque. Si je ne pouvais même plus me souvenir des couleurs de la cape de Mandrake le prince des hypnotiseurs. David à son tour se penchait vers Raymond et s'immobilisait. Il leva une main en arrière et garda la pause. Avant de me faire signe de revenir. Je me dépêchais en retrouvant une sérénité inattendue. Comme quoi j'étais bel et bien en train de changer. Le visage de Raymond s'est à nouveau transformé. Il n'est plus qu'une grimace informe et bientôt sera grotesque. Monique ne le lui lâche plus la main, mais c'est à moi qu'il veut parler. Je colle mon oreille pratiquement sur sa bouche tant la voix n'est plus qu'un souffle pitoyable. Mes cannes à pêche.. J'entend à peine. Oui.. Je fais.. Tes cannes à pêche.. Je répète.. J'te les donne.. Elles sont à toi.. Je me suis retrouvé avec la gorge nouée et l'envie de rire dissoute dans l'haleine fétide que je me sentais prêt à remplacer par la mienne si cela avait été possible. Il n'en avait pas fini. Dis moi Raymond.. Je lui dis pratiquement dans l'oreille. Un prêtre.. Il Fit..... J'ai Soif... Un Prêtre..... Il marmonna d'une voix de cadavre obstiné. Son esprit quand à lui vivait comme jamais. Il allait s'éteindre mais dans une dignité absolue. T'em m'prends pour un con... Il m'avait dit. David. Je m‘exclamais. Il veut voir un prêtre. Me sentant blême comme si c'était moi qui en avait besoin. Il se contenta d'un signe de la tête. N ‘était-il venu pour Ca..


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