• Dans Cette Vie Unique (62)

    Je me laissai servir un fond de verre glacé et je l'acceptais ne venant en aucun cas d'un cureton mais d'un ami aux gestes calmes et sincères. Je venais de tout lui raconter. Ce qui en soi aurait pu se révéler bref. Mais la discussion allait bien au delà des faits dont elle se moquait. Je n'avais pas une seconde imaginé comme je pouvais compter pour lui.. Je répétais plus d'une fois sous des formes à peine différentes. Parlant ainsi autant à l'adresse de David que pour moi même. J'avais encore besoin de me persuader de la réalité de ces divers sentiments. Puis je me taisais et si je sollicitai David voilà à peu près ce qu'il me disait. -- Nous sommes fragiles;. Extrêmement fragiles; mais on doit faire avec. Notre force pourtant, celle qu'il nous faut dépenser chaque jour doit venir de là. Où la puiser sinon dans cette fragilité; il n'y a rien ailleurs.. Ce qui t'arrives avec ton ami, je le vis presque tous les jours. Dans ma tâche.. Avec moins d'implication personnelle cependant. L'être humain dans la souffrance et l'inconnu, s'attache au moindre bout de bois flottant, et contrairement à ce que nous imaginons souvent.. Il ne cherche pas à construire une histoire ou un univers dans sa vie. Mais le plus souvent il essaie seulement de ne pas sombrer dans le désespoir. Ou de crever à force de solitude. Jour après jour. Les hommes ne sont pas dupes. Ils savent très tôt ce qui les attend après une vie de souffrance, et ils se contentent de survivre malgré la peur et le désespoir.. Il s'agitent beaucoup, c'est vrai.. mais que peuvent-ils faire d'autre.. Au moins comme ça ils oublient... Je fermais les yeux. Avant de commencer à parler comme si je ne craignais plus de paraître ridicule. J'en avais fini avec ce dilemme.... Vivre dans l'instant est la chose la plus difficile qui soit... Je me sens cadavérique.. J'ai le sentiment de n'avoir même pas besoin d'attendre ma dernière heure.. Cette nuit plus que jamais.. Je sais comme toute l'histoire est truquée.. Parfois je crève de honte simplement parce que j'ai encore envie de vivre au lieu de me jeter du haut d'une falaise;.Je me laissai aller à lui dire en flottant au dessus de notre belle rivière fraîche et limpide. Les truites filaient entre les larges dalles plates et grises que j'empruntais pour traverser au gué. Comme celles recouvrant le sol de cette maison. De magnifiques pierres tombales lisses et silencieuses entre lesquelles murmuraient des revenants. Tous ces vieux pêcheurs déjà enterrés et qui nous ressemblaient points par points. Comme nous ils avaient deux bras et deux jambes. Avec une grosse queue au milieu qui ne vaut réellement que parce qu'elle nous pose tant de problèmes. Mais ces problèmes sont une chose et le résultat est tout autre. Les vivants se moquent de savoir pour quelle raison ils sont en vie. Ce qui agitait leurs géniteurs pour les amener à procréer et répondre à l'appel de l'espèce.. Mais j'étais parti sur la rivière pour y retrouver Raymond et déjà je m'égarai. Je l'oubliais à peine mes yeux se fermaient et la vision plongeait en moi où définitivement je ne rencontre que moi.. Moi.. Et encore et uniquement moi... Raymond je le vois maintenant parce que je fais l'Effort de Me Sentir Coupable.. Il marche courbé de l'autre côté où il fait la navette entre ses cannes et le cubitainer que j'ai placé entre deux gros cailloux chargés de le maintenir au frais sur le passage de l'eau vive. Je l'observe qui s'allume une clope et me cherche du regard. Un petit signe et il tente de nouveau sa chance en lançant une cuillère qui brille dans l'air et manque de s'accrocher aux branches.. Pour ma part je vais me dépêcher de ramasser le bois que j'ai repéré sur l'autre rive et je m'occuperai du feu. C'est pas Raymond qui risque de s'en occuper. D'ailleurs il ne s'amuserait pas à essayer seulement de traverser la rivière. Lui tant que le cubi n'est pas vide il se dit que tout va bien. Laissant même les curés en paix. Mais moi je crève de faim.. En rouvrant les yeux j'ai le sentiment de contempler le malheur. Je me dis que je n'ai jamais rien compris à ce type; J'ai l'impression de l'avoir raté en revenant sur terre. D'être complètement passé à côté. Là je suis bel et bien en train de penser que j'aurais pu me donner la peine de le connaître un peu mieux. Je le pense si fort que ça finit par me sortir tout seul de la gorge et à voix haute. David secoua la tête. Tu te trompes. Il me fit. Tu te remets à parler de toi, au risque de l'oublier maintenant. Et c'est bien parce que tu lui a donné l'amitié qu'il attendait qu'aujourd'hui il réagit comme ça.. Tu l'as comblé d'une certaine façon. J'eus soudainement l'envie de me retrouver seul. De ne plus parler à voix haute. Je voulais hurler sans émettre le moindre son. M'évanouir de compassion dans la montagne qui depuis cinq ans déjà m'accordait toute sa protection. J'étais incroyablement lucide à présent et j'eus le pressentiment qu'il se passait des choses graves en moi. Une sorte de renaissance. Mais c‘était déjà la centième du genre que je connaissais dans cette vie unique. Ce qui commençait à faire un peu beaucoup..


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