• L'Immobile Eternité (7)

    Il y eut une fête en ville plus ou moins à cette époque. Quelques semaines plus tôt il me semble dans mes souvenirs. Encore qu'il me faudrait vérifier pour être certain de respecter la chronologie des faits. Officiellement c'était pour inaugurer la première rue piétonne. Quelle chance, il faisait beau et doux après les gelées et en attendant la pluie en ce jour de célébration. Pour ma part je ne voyais pas d'un bon oeil toutes ces nouveautés. Mais je me gardais bien d'évoquer ce sujet avec les gens du coin, ils pouvaient difficilement admettre mon point de vue. Comment pourrais-je prouver aux yeux des incroyants, que la clé du paradis se trouve dans l'immobile éternité. J'aurais voulu que le temps gèle une bonne fois pour toute dans mon bout de montagne, mais déjà je voyais de nouvelles maisons qui poussaient pareilles à de gros chardons jaunes sur les coteaux bien exposés au sud. C'était sûr un jour il y aurait des carrefours bondés et des enfants et leurs mères toujours terriblement épuisées là en bas, comme partout ailleurs. Puis la ville éclatera de toute part et grimpera comme une maladie sur les flancs verts des montagnes qui ne savent pas que les petits  hommes sont bien plus dangereux qu'ils n'y paraissent. En attendant, la fête se passait sur la place principale juste devant le kiosque à musique et qui servait aussi pour les discours. Le maire entouré de toute son équipe vint nous faire le sien, et il nous fit comprendre qu'il rempilerait bien pour quelques années supplémentaires aux prochaines élections qui devaient avoir lieu l'année suivante. Je crûs soudain entrevoir une explication valable à pas mal de nos problèmes. Disons en gros que si nos élus se sentent obligés de nous offrir des feux rouges partout et de couler du béton pour nous amadouer, on peut difficilement leur faire confiance. Pour ma part je serais prêt à voter pour quelqu'un qui avoue franchement vouloir la place pour les petits avantages que ça apporte et même pourquoi pas tripatouiller ses petites affaires qui le regardent. Mais ce qui m'inquiète dans le cas présent, c'est qu'après avoir copié les grandes villes pour faire le mariole, l'année prochaine après le centre piéton, notre maire pourrait se mettre en tête que La Sienne mérite un gros cube en ciment pour des congrès de fabricants de papier toilette ou de lunettes de soleil. Je sais qu'à mon âge on devient facilement égoïste et un tantinet paranoïaque, mais il faut comprendre que si jamais le climat s'envenimait dans le coin, je me vois mal reprendre une fois de plus mes bagages pour  retrouver un lieu encore sûr et calme. Enfin, tout ceci restait du domaine de la spéculation, vu que sur la place et malgré l'invitation à l'apéro gratuit, nous étions tout au plus une petite centaine à fêter la rue piétonne. Ils avaient mis des drapeaux un peu partout, et les commerçants qui étaient à l'honneur, rosissaient de plaisir en se frottant les mains sur le pas de la porte. Je me faufilais jusqu'aux tréteaux et en tendant bien le bras j'eus droit à un gobelet en plastique rempli de vin rosé à moitié. Je connaissais de vue pas mal de gens qui se pressaient autour des tables. Quoique la conversation se limitait à des.. Ca va toi.. oui et toi.. moi ça va, et bien à la tienne.. tu vas bien toi.. impeccable et toi.. pas mal, et bien c'est tant mieux.. ça va toi.. puis je me retrouvais seul et je me reprenais un autre verre de rosé. Après quoi on rigolait un coup, et toujours des toi comment ça va, tu vas bien.. Alors ça roule;.. et ainsi de suite. La taille de la ville m'obligeait à reconnaître à peu près tout le monde autour de moi, ce qui revenait à dire une grande partie des habitants. Seulement j'aurai été bien incapable de mettre dix noms sur ces têtes. La fanfare locale en uniformes bleus de théâtre nous fit un petit concert et un disc-jockey prit la suite pour faire danser les gamins et quelques touristes. La soirée s'avançait et je commençais à être pas mal parti. Je tapais le rythme du pied droit avant de basculer du côté gauche et quand la chance me souriait je parvenais encore à me faire servir un verre. Je ne me  suis même pas demandé ce qui me rendait aussi sociable. Pour une fois...


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