• Le Bar des Champions (16)

    Je m'étais fait de nouveaux amis. Ce qui n'est jamais très compliqué quand on se met à fréquenter plus ou moins régulièrement la même taverne. Il y avait là autant d'autres comme moi qui un jour étaient venus se mettre au vert. Le pays tout entier transformé en tamis géant, laissait couler son dernier jus vers la vallée, et l'odeur prenait à la gorge à peine franchi le pas de la porte, après avoir parcouru la terrasse couverte de parasols jaunes et rouges qu'un fournisseur avait offert. Mathias par exemple, le barbu avec sa grande gueule. Dans sa vie d'avant, il avait accumulé des aventures incroyables, des montagnes de fric, et je ne vais pas faire la liste de toutes les femmes. Malgré quelques tentatives, discrètes il est vrai, je n'ai jamais réussi à savoir ce qui l'avait amené parmi nous. Depuis il faisait le taxi avec un petit bus et organisait des voyages collectifs pour les vieux qui ne conduisaient plus et qui manquaient de famille sur place. Il s'occupait aussi de transporter les enfants d'un centre d'handicapés, dans lequel travaillait Danielle justement. Pour dire un mot sur cette dernière. Elle se refusait assez curieusement à fréquenter le Bar des Champions, ainsi se nommait le lieu, et préférait s'attabler dans l'unique salon de thé de la ville qui faisait aussi pâtisserie et boulangerie. C'est là que je la croisais quand en passant devant je tapotais la vitrine et l'obligeais à lever le nez d'un éternel bouquin qui semblait collé devant ses yeux pour toujours. Elle m'accueillait avec un gentil sourire mais ne m'invitait jamais à m'asseoir. Une attitude qui gênait nos retrouvailles et au bout de quelques banalités je n'avais qu'une envie, c'était de continuer ma route et lui souhaitais de passer une bonne journée. Il y avait de la mélancolie dans son regard alors que je me détournais, et qui ne datait pas de notre union ratée, ce dont j'étais certain. Chacune de nos rencontres me laissait dans cet état indéfinissable. Aux Champions, on trouvait toute sorte de gens, sans qu'il y ait la grande foule d'ailleurs. Mais cela suffisait pour constituer un zoo humain assez intéressant ma foi. Le gros Louis, qui faisait office de facteur pour une moitié de la ville, et avec lequel nous pouvions être certain de ne pas rester dans l'ignorance pour ce qui était des petits problèmes des uns et des autres. Il avait une prédilection pour les cocus et les types dans la merde ou sur le point de faire faillite. Lui il ne risquait rien avec sa femme qui pesait dans les cent kilos et son emploi de fonctionnaire. Il n'avait pas que des mauvais côtés, c'était aussi le type d'homme à faire des heures de route pour dépanner un ami, mais personnellement il me fatiguait. Côté femmes c'était pas trop fourni, sinon Chantal qui me paraissait une affaire à creuser, le genre belle femelle sur la pente glissante. J'avais remarqué ses cernes, quoiqu'elle conservait de beaux restes, ses seins notamment, et une jolie taille. Elle avait tendance à lever le coude assez facilement, et à mon avis ce n'était qu'un début, d'autant qu'avec une gueule encore intéressante comme était la sienne, les hommes ont la gâchette facile quand il s'agit de remettre la tournée. Encore une qui payerait le prix fort de n'avoir connu que l'ennui dans la vie et la trouille devant l'inconnu. Mona valait le coup qu'on s'intéresse à son cas aussi. Mais là j'avais un problème en ce qui me concerne, c'était son âge. Elle sortait à peine de l'adolescence, et se collait aux corps des uns et des autres quand elle s'approchait du comptoir que forcément chacun se demandait si l'affaire était du lard ou du cochon. J'avais compris que tout le monde était troublé. Un jour je sentis de très près ses fesses contre ma queue, et je ne pus empêcher la solide érection qui en résulta. Eh ben... Elle fit en se retournant comme si je l'avais fait exprès. La question était de savoir qui prendrait le risque d'être la première victime officielle, et je ne doutais pas une seconde que cela arriverait avant peu. Il y avait un type qui m'intriguait plus que les autres. Il se faisait appeler Sam. Un nom qui me rappelait quelqu'un d‘autre. Il était plus silencieux que la moyenne des habitués, et pouvait passer des heures assis face à une bière chaude sans dire un mot. Puis d'un coup il se levait et on aurait pu croire qu'il y avait le feu à la maison. J'avais remarqué qu'il ne travaillait pas alors qu'il ne manquait jamais d'argent, bien mis, bien nourri, et pas radin du tout quand en fin de semaine le bar se transformait en restaurant avec un vrai grill à l'extérieur. Forcément ce type d'homme impénétrable aiguise l'imagination. Il possédait ou louait une villa à la sortie de la ville avec une piscine chauffée pour l'hiver, peut-être la seule de la vallée. Il y avait une véranda aussi qui prenait tout un côté de la maison, et de beaux arbres qui la caressaient jusqu'au toit. Je l'avais aperçu un jour qui marchait autour de chez lui à pas lents, il croquait dans une pomme gardant les yeux rivés au sol, et cette image sans que je puisse me l'expliquer, m'avait frappé. Il vivait seul dans cette belle maison et n'avait jamais invité chez lui qui que ce soit à ma connaissance...


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