•  Le temps devint un écran noir et blanc, et seuls les sons, largement aussi vrais que dans la réalité, (N'en était-ce pas une.. ) conservaient la qualité technique du monde moderne. Je me revoyais crevant dans les embouteillages, le bruit, la foule, les éclats de voix, l'odeur des bagnoles, et de tout ce qui pue en général. Les boulevards, la Madeleine, Châtelet; et encore au delà des remparts tout le coin d'Aubervilliers. Enfin bref tous les endroits où j'avais vu filer la plus grande partie de mon existence. Puis le trajet interminable depuis la banlieue quand Aline voulut à tout prix nous voir installés dans un pavillon. Elle s'était mise en tête que le bonheur se fabriquait comme une sorte de legos. Alors que pour ma part je savais qu'il serait accordé d'avance ou tomberait du ciel. Ce qui revenait au même. Le légendaire sacrifice des pères de famille n'étant que pure billevesée parmi d'autres qui servent d'huile de graissage à la plupart des inconscients. Certains le savent d'instinct et ceux là sont les seuls que j'envie. Je ne suis pas devenu idiot, mais uniquement triste et fatigué. Je préférai arrêter le film, les enfants que je ne voyais plus depuis des années, mais qui avaient grandi et chacun fait sa vie. Les premiers vrais ennuis quand je me suis mis à vivre à l‘envers, et même à la fin des histoires de chéquiers piqués dans les tiroirs des bureaux. Parce qu'il y a Une Obligation de Survie en Société.. Et Coûte que coûte.. La Dépression N'ayant aucune Valeur Légale en Terme D'Excuse.. De toute façon ma seule vie était ici au milieu des arbres et de toute cette nature, les vrais bruits de la vie étaient là et pas ailleurs. Dans le Silence de mon Crâne. Pendant des années je m'étais pris pour un autre. Forcément j'avais mis le doigt dans la machine et j'étais trop orgueilleux pour voir la vérité en face. J'étais né pour vivre au ralenti en haut d'une montagne là où nichent les Vieux Anges Cinglés. Et de pareils endroits existaient bel et bien sur la maudite Terre. J'avais par mégarde été tenu dans l'ignorance. Depuis et surtout au début j'avais trop souvent cédé à la facilité du, _.si je pouvais tout recommencer depuis mes vingt ans.. Mais j'en avais près de cinquante, et que cela me plaise ou non, les carottes étaient cuites. C'est ce que je me disais toujours avant de m'obliger à penser à autre chose, et en général ça me réussissait. Je ne m‘y entendais pas vraiment en matière de pêche, mais Raymond heureusement était un fin connaisseur. C'est lui qui préparait le matériel et choisissait les appâts tenant compte de critères tels que la force du courant et l'air du temps d‘après ce qu‘il m‘affirmait. Il marmonnait généralement entre ses dents des eébuts d'explication tout en s'activant, mais sans chercher à savoir si je saisissais bien le message. Puis il finissait rarement ses phrases. Curieusement, mes prises étaient plutôt meilleures que les siennes. Il n'enrageait pas pour si peu, se contentait d'un de ses grognements habituels qui tenaient lieu d'arguments, et qui semblaient laisser une large place au hasard pour justifier l‘incompréhensible. Seule étrangeté au milieu de ses arguments. Sa fixation sur les curés que pour un oui ou un non il vouait aux gémonies. Ces connards de Curés.. qu'il faisait sans jamais m'en dire plus. Quand à mon avis sur la question, je pensais qu'il lui arrivait de trop souvent trembler, précisément après quelques minutes d'immobilité. Même de loin je sentais que son corps rapidement était traversé d'ondes nerveuses qui ne le laisseraient plus en paix avant deux ou trois verres de vin Pleins à Ras Bord... La matinée passa à un rythme lent, presque honteux tant chaque seconde valait son pesant de béatitude, magnifique et paresseuse satisfaction, ponctuée de quelques cigarettes, deux ou trois jurons, et d'un bout de pain sur le coup des onze heures. Quand aux poissons, je les voyais bien filer dans l'eau vivante qui courrait au milieu du plan d'eau, mais ils nous narguaient les bougres, ils se moquaient. Heureusement vers midi les affaires devinrent sérieuses, et coup sur coup, deux jolies truites dont une plutôt de bonne taille, puis du menu fretin, vinrent se ficher sur nos hameçons. Raymond ne se tenait plus de joie, à croire qu'il voyait ça pour la première fois de sa vie. Ca mord, ça mord.. il piaillait, avant de se servir directement à la source du cubitainer histoire de fêter le miracle. Il me sembla utile à un certain moment, observant que la source justement s'épuisait,  de m'emparer du petit tonneau de plastique pour le dissimuler dans une faille de rocher sous prétexte de le garder au frais. Assez loin et en hauteur pour le dissuader de faire trop souvent l'aller retour. A la mi-journée passée, l'air s'était sérieusement réchauffé et on envisagea de préparer le barbecue. Dans la clairière, entourée de magnifiques feuillus aussi beaux que les arches d'une cathédrale, je commençais un feu avec le charbon de bois ramené dans le break, puis une fois bien pris, je fis brûler du bois mort trouvé sur place et qui fumait terriblement tout en séchant. Le poisson vidé, et frotté d'huile d'olive dégageait un fumet à damner un diable. J'apportais une pierre pour m'asseoir dessus et Raymond se coucha dans l'herbe certainement humide encore tout en s'appuyant sur un coude. Au dessus entre les arbres frissonnants, le large soleil qui maintenant apparaissait entre deux nuages, nous bénissait...


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